Éparpillée sur une table une grosse poignée de citrons peints d’un jaune uniforme attend de ne jamais vieillir. Tous ont la même forme oblongue légèrement boursoufflée, et tous échappent à la logique qui voudrait leur associer une certaine fraicheur, une acidité, et une place, coupée en deux, dans la porte du réfrigérateur. Mais ces citrons ne sont que des moulages. La fine crête irrégulièrement dentelée qui les parcourt de part en part accuse le froid qui les habite. Creux, ils n’offrent rien en échange des images que l’on leur projette et qu’imperturbablement ils intègrent. C’est avec les mains qu’il faudrait les appréhender. C’est impossible. Si on s’y aventurait ils deviendraient autre chose. Le jaune revêtirait un nom, se réchaufferait et peut-être disparaitrait-il au profit de la sensation que procurerait le contact des doigts et de la paume de la main contre lui. Enfouie au fond d’une poche de manteau, la couleur jaune finirait par se patiner, se faire bibelot et, imperceptiblement, s’éloigner.

Laissés sur leur étal les citrons restent des citrons. C’est la seule évasion qui leur est possible. La seule qu’ils puissent conserver.

Derrière eux une rangée de bittes d’amarrage longe les murs peints en bleu lagon de la galerie. Elles sont disposées de sorte que les murs pourraient s’y accrocher. Comme si elles étaient là pour les retenir, que dans ce bleu se trouvait une chose qu’il faille accrocher avant que celle-ci ne soit emportée par la houle ou les courants. Pourtant la mer et le ciel qui s’ouvrent au-delà de l’accastillage en polyester d’Étienne Bossut ne connaissent aucun remous visible. Le calme le plus complet caractérise la ligne qui les sépare du sol. Ce bleu a hauteur de regard ne trouve un souffle que parce qu’il semble devoir être retenu. À ses pieds, les étranges formes ponctuent de leur front évasé l’opposition inconsolable qui nait du désir de voir loin quand c’est au fond de soi que s’enfoncent les mots.