Thomas Lévy-Lasne peint au plus près de ce qu’il voit. Il voit et il peint, ce sont deux actes distincts qui se rejoignent dans le tableau, une fois fini. Or, dans l’intervalle de temps, entre ces deux actes, la vie a disparu. Reste l’image et ses infinies variations de réel, qui se chevauchent et s’entretiennent sans débattre. La finesse des aplats de sa technique les met toutes au même niveau. Elle les associe et les tourne vers l’observateur qui, lui est bien vivant, et invité à répondre aux questions.

L’exposition de l’artiste à la Galerie Isabelle Gounod est occupée par deux jeunes femmes qui pianotent sur leur ordinateur portable. La première, Laetitia au lit, est nue et allongée sur un futon défait. À l’extrémité droite du tableau, ses pieds traînent contre un oreiller dont la taie est ornée de fleurs bleues évoquant la porcelaine de chine. En contrebas, un coffre fait office de table de chevet. Et sur celui-ci se trouvent un tome de la série blanche de Gallimard, une bouteille de Coca-Cola light et une tasse de couleur. Tout autour les murs sont gris immaculé – peut être viennent-ils d’être repeint, et la demoiselle d’emménager – en tout cas il n’y a aucune trace, aucune aspérité.

La seconde femme occupe un second tableau, Couple 02. Ici, elle est habillée. Elle n’est pas seule, un homme est allongé sur le canapé, qu’elle aussi occupe. Concentrée, elle travaille. Lui roupille en débardeur.

Entre ces deux femmes, plusieurs tableaux montrent la vie des autres, une rue déserte, mais remplie de scooters à l’arrêt, un groupe de visiteurs devant un médiateur dissertant sur un œuvre de Kieffer, une table couverte de bouteilles vides. Ainsi, la salle de l’exposition est cernée de vide, qui devient absence quand, seul au milieu de la pièce, on regarde ces moments peints, et que le silence se met à résonner entre la peinture et notre propre situation. Il n’y a pourtant aucune raison de rompre ce silence pareil à celui qui nous entoure en permanence, et qui n’est nul autre que celui de notre société. Le vide face au vide décuple le vide, et cætera.

Digressions passées, l’œil de retour sur le second tableau découvre un bloc-notes jaune. Un simple parallélépipède identique à tous les blocs-notes. Il n’y a rien dessus, il est posé sur la même table que celle où travaille la jeune femme en tailleur. Cette découverte suppose un stylo, et peut-être, y laisser une note pour l’auteur. On renonce.