On entend beaucoup parler de Jeff Koons, il faut dire qu’en artiste avisé, il sait attirer à lui les commentateurs. Mais qu’en est-il des œuvres une fois le bla-bla éteint ? La fondation Beyeler offre une rare occasion de se frotter à celles-ci.

La première salle est consacrée à l’électroménager de l’artiste. Aspirateurs, lessiveuses et shampooineuses, neufs et rutilants sont contenus dans des boîtes en plexiglas comportant aussi des tubes de néon. La série s’appelle The New, pourtant les aspirateurs ont l’air vieux – déjà – ; les boîtes, elles, sont nickelles, quant aux néons, ils ont été changés régulièrement, seules les machines semblent avoir prématurément vieilli. C’est comme si une part des œuvres est restée coincée dans le passé, quand une autre continue à s’actualiser. Trente ans après leur création, elles sont devenues des métaphores de la dialectique du kitsch et du temps.

Les deux salles suivantes regroupent de gentillettes sculptures en porcelaine ou en bois peint. Certaines sont des mascottes, d’autres ont été empruntées tantôt au show business, tantôt à l’imagerie populaire enfantine ou érotique. Buster Keaton et Michael Jackson & son singe Bubbles sont parfaitement reconnaissables ; ils le sont d’autant plus que, dans ce dernier cas, l’image qu’en tire l’artiste est presque aussi célèbre que son modèle. Mais inversement, le sujet de certaines se perd dans notre mémoire, nous ne les reconnaissons plus. Toutes ces images, frivoles et commerciales des décennies 80-90, que l’artiste avait rassemblées comme des équivalents, des banality, sont devenues des symboles, mais tous n’ont pas le même poids. Reste leurs formes, pauvres de n’avoir été conçues que pour une consommation minutée, mais riche de l’ironie que leur confère leurs statures : souvent justes assez imposantes pour prendre l’ascendant sur la notre.

Aux murs, deux impressionnants miroirs dorés et tarabiscotés à souhait viennent redoubler l’aspect toc qui caractérise ces sculptures. Le kitch « nouveaux riches » y est à son paroxysme, mais force est de constater qu’il nous dépasse et, de même qu’il est bien plus vieux que nous, il nous survivra. Car s’il n’est que la production résiduelle de nos désamours et de nos désaveux, le travail de Koons le cristallise, il nous l’impose de telle façon que la question du statut de ces objets se double de celle du statut de notre regard sur eux. Et contre toute attente, rien n’est plus saisissant que la facilité avec laquelle nous investissons ces objets. Par exemple, le chaton de Cat on a clotheline (aqua) a l’air d’avoir été déposé dans une chaussette comme le serait un cadeau de Noël. C’est immédiat, mignon et automatique, cette œuvre démontre que c’est nous, notre société, qui sommes conditionnés pour appeler ce genre d’œuvre. Mais cette aspiration n’est pas monotone, et c’est là la plus grande qualité de Koons, son kitch évolue avec le temps. Les cœurs et les nœuds brillants, tout comme les tableaux de gâteaux de fêtes et de cotillons de Celebration n’ont plus rien à voir avec les années 80, mais avec les années 90 et 2000.

Le visiteur, en observant son reflet dans le Moon (light pink), entouré des autres ballons et reproductions d’assiettes de plastique et de jouets enfantins, ne voit pas une image aussi déformée de sa réalité qu’on a envie de le lui faire croire. Il n’y a pas d’exagération dans cette Œuvre : elle est grosse et abêtissante, mais uniquement dans les proportions que lui appliquent les regardeurs.