Que se passe-t-il avec Renoir ? Il semblerait que ses amateurs sortent du bois après tant de décennies à se cacher. Le Kunstmuseum de Bâle en profite pour exposer les travaux des premières années de l’artiste : ceux qui n’ont pas encore cette teinte jaune-orangée et où les femmes ne sont pas boudinées sur des feuilles de chênes.

L’exposition porte sur la dualité bohème bourgeoisie, c’est un prétexte, telle robe, tel lieu, telle posture, tout cela n’est qu’habillage. Jupe ou pantalon, le travail de l’artiste se construit sur le problème posé, non pas par le statut social du peintre par rapport à celui de son modèle, mais par l’inscription d’une figure dans un environnement.

Ce problème trouve ici un achèvement avec L’Allée cavalière au bois Boulogne, l’un des plus vastes tableaux de l’artiste, mais auquel on pourra préférer le Portrait de Madame Chocquet de 1875. Bien plus petit, il n’a rien du chef-d’œuvre, pourtant tout en lui concentre la question de la figure et du paysage. Le tableau est construit de manière concentrique, en partant d’un pourtour léger et volatile, à une tête lourde et grave. Même les mains sont d’une texture filandreuse, elles s’écoulent mollement le long de la chemise du modèle, chemise qui n’est-elle même qu’un pur espace pictural. À l’arrière plan, une console, un cadre, et l’entrebâillement d’une porte structurent le contexte intime de la pause. Les accords de bleus et de jaunes coupés de verts froids qui s’y trouvent ne semblent être là que pour renforcer l’écart entre la figure et son espace. Le visage, lui, est rose et vivant, légèrement pincé, mais le regard qu’il contient est porté dans le vide. Les yeux bleus brillent : le modèle lui est ailleurs, il est dans son tableau. Après lui, l’artiste s’en ira vers de toutes autres solutions, mais c’est de l’avant que traite l’exposition.

La première salle est remplie de portraits, tous ou presque de factures différentes, ils courent de 1864 à 1871. Outre de nombreuses femmes, que Renoir peint, nues, vêtues ou déshabillées, un jeune homme, nu lui aussi, nous tourne le dos tout en caressant un chat. Ce Garçon au chat est étrange : son format étroit et vertical imprime un sens inhabituel pour un sujet qui ne l’est pas moins. D’autant que Renoir travaille souvent ses modèles comme des prétextes. Ce que l’on comprend assez bien dans la salle qui regroupe les portraits de ses amis, peintres, Bazille, Sisley, Monet, et quelques autres. On ne sait pas à quoi songe l’artiste lorsqu’il dépeint son entourage de manière aussi désinvolte, il n’y a vraiment aucune psychologie. Plus loin, Lise, l’amante de l’artiste subit le même traitement, les tableaux racontent une romance, parfois un désir ; mais à chaque fois, c’est la peinture qui est le sujet.