Toute la scénographie de l’exposition Rodin, la chair et le marbre est basée sur la double texture du bois et de la pierre. Le contraste de matières est saisissant ; entre l’aspect délicatement nervuré des sculptures de marbre blanc et l’aspect brut, taillé à la scie, du plancher de grosses lattes de pin, tous nos sens sont mis à contribution.

L’exposition démarre sur une enfilade de petites sculptures faisant face aux ogives des fenêtres ; parmi elles : Psyché-Printemps montre un jeune homme barbu réveillant de ses deux bras ouverts une Psyché endormie. Sa barbe, longue et souple – signe d’une vie déjà bien remplie –, traine contre la courbe de l’épaule de Psyché dont le corps, pour un instant encore, reste alangui, sans défense. Le regard du Printemps se perd dans le vide. Il y a comme un moment d’arrêt dans ce couple, un moment en suspens ou le Printemps hésite à embrasser et à réveiller. Plus loin, plus prosaïquement, traine une Tête de Saint Jean-Baptiste. Celle-ci repose bouche ouverte et cheveux en bataille sur un plat irrégulier. À mille lieux du sujet macabre, la beauté poudrée du marbre, pleine d’ombre et de contre-jours, donne à la tête un air de noblesse. Ici c’est nous qui hésitons, mais la chair est bien morte, le visage commence à se creuser, le cou à se vider et bientôt il grouillera d’insectes nécrophages.

Une fois ce prélude terminé, on accède à la principale salle de l’exposition. Elle ressemble à un atelier, une carrière où les blocs se répondent et font corps comme si le sol dont ils sont extraits était sous nos pieds.

Comme presque toutes les sculptures présentes, La Pensée émerge d’un bloc à peine dégrossi. L’artiste n’a sculpté qu’une tête, tout le corps reste contenu dans la pierre. Et de cette tête féminine, on ne perçoit vraiment que le visage ; le regard est bas et les cheveux ramassés dans un foulard, son front est pensif, mais pas crispé, elle semble prise dans ses idées comme sa forme est prise dans le marbre. De la même manière, d’autres figure se dégagent, ou s’englue, c’est selon : Puvis de Chavannes à l’air paisible, pris dans une vague blanche ; Victor Hugo est stoïque, droit ; plus loin, Une Convalescente sanglote, blottie dans la pierre, protégée et les doigts compulsivement dans la bouche. Elle porte sa chevelure comme une masse ronde posée sur son crâne et ses faibles membres recroquevillés contre elle l’agrippent à son rocher. Rodin semble en avoir trop demandé, ou peut-être trop vite, mais désormais, elle a l’éternité pour reposer sa chair et son marbre.