La peinture de Farah Atassi est coutumière des zones de siphon où les œuvres se croisent dans un tourbillon que l’artiste canalise avec autant de rigueur que de surprises. Farah Atassi aime les intrusions. Les labyrinthes picturaux qu’elle maçonne ont besoin d’être habités. Depuis des années les minotaures se succèdent au cœur de ces architectures physiques et mentales, parfois en tant que bourreau, parfois en tant que victime. Ce filet d’eau mêlé de sang qui se déverse apporte avec lui la chair fraiche et fait se mouvoir les citations ; c’est aussi lui qui coule dans l’évier de l’atelier où sont lavés les pinceaux en même temps que les mains de l’artiste. L’atelier, lieu de digestion et de cannibalisme. Lieu où le peintre écorche les autres et ramasse parfois les pelures pour les coller à ses tableaux.

Le maître de l’atelier c’est Picasso. C’est lui que Farah Atassi fait pénétrer dans Nude in the studio. On y trouve allongée, les jambes redressées, une femme posant auprès de deux châssis nus – deux châssis trop petits pour appartenir à Farah Atassi, et qui pourraient bien être ceux du maître dans lesquels l’artiste aurait découpé les figures comme pour bien signifier que l’espace pictural où se joue la scène est celui de ses propres tableaux et nul autre. Le sujet est classique, un face à face chargé de désirs impossibles à assouvir, sujet que Picasso a maintes fois parcouru au cours des dernières années de sa vie. Mais ici les choses sont différentes ; à trois le rapport modèle-peintre se complexifie. La femme reste l’objet du regard, c’est toujours elle qui se plie aux jeux du peintre, c’est vers elle que la peinture se rue pour parvenir jusqu’aux regardeurs, c’est elle encore qui, contorsionnée, grince des dents derrière son sourire, elle sur qui se déversent les serpentins de couleur lancés en l’air pour donner un air de fête au festin à venir, elle, coincée, restée sauvage bien que domptée. Sauf qu’à présent, le peintre c’est elle.