Dans Personnages dans une baie à Saint-Pierre de Rome, Hubert Robert enchâsse plusieurs niveaux de cadres architecturaux dans lesquels il place quelques minuscules personnages occupés à ne rien faire ou presque. Il s’agit d’une famille, un vieillard accompagné de deux jeunes gens, un groupe de bavards dissertant. Ils ont pris place dans une ouverture monumentale qui donne sur un espace tout aussi vaste mais dont on ne distingue que la voûte et l’ouverture offerte sur une cour lotie d’imposants bâtiments. Là, l’homme, témoin de sa grandeur passée, ne peut rien ; il contemple l’immensité architecturale d’un œil distrait, passif, presque aussi inoffensif que les mousses et les herbes folles, elles aussi, installées à califourchon sur les restes de splendeur du passé.

Dans ce monde, l’humain est une fourmi, c’est un monde humide balayé d’une lumière jaune qui l’assèche et d’un soleil blanc qui le pénètre. Tout ce décor semble être pour Hubert Robert autant un théâtre qu’une archéologie réelle. Dans Artistes étudiant le temple de Vespasien, sur un échafaudage, dans les ruines du Forum, il figure six personnages occupés à mesurer et à prendre des relevés. Devant les ornements en feuilles d’acanthe des colonnes à demi ensevelies qu’ils considèrent, leur activité est autant celle d’un groupe de naturalistes face au gigantisme d’une fougère que celle d’une colonie d’insectes installant un avant-poste.

Le goût minéral du peintre trouve son acmé dans Paysage avec cascade inspiré de Tivoli. La chute d’eau qui force et brusque l’espace de toutes part donne l’impression d’être le résultat d’un terrifiant et monumental effondrement. Les roches, saillantes et complètement éboulées, crissent comme si elles avaient cédé à la poussée d’un barrage et laissent l’eau s’engouffrer dans le paysage, l’envahir avec fracas, et, peut-être totalement, le recouvrir comme au matin du monde quand le déluge fit tabula rasa.

Partout, le regard du peintre suit et précède les ruines. Dans les deux panneaux du réaménagement qu’il effectuera à Versailles, il offre une vision quasi cataclysmique de son action. Les arbres échevelés sont brisés comme après une terrible tempête, tout semble désolé, seules les personnes qui s’affèrent et le relatif ordre en marche de leur occupation donnent l’impression qu’il ne s’agit pas de débâcle. Pour le réinventer, l’artiste renverse le monde. Du chaos naîtra un ordre nouveau dont il est l’architecte. Pourtant, dans ce cas comme dans presque tous les autres, l’œuvre d’Hubert Robert est une préfiguration la fin toute proche du monde qui est le sien.