Malgré le gris et la teinte jaune qui les affadissent, des tableaux de Marquet se dégage de une étrange vivacité.

En terme d’image ils sont convenus. Si l’on se contente de les voir comme des images alors on ne voit rien ; et il n’y a rien d’autre à voir qu’un petit moment d’histoire de l’art un peu mou et sans éclat. Par contre si l’on regarde la peinture alors on se rend compte que d’un point de vue pictural la nonchalance de Marquet est prodigieuse, son pinceau se balade sur la toile avec un appétit étonnant. Ses gris grouillent avec ampleur, ses camaïeux ne se noient pas, les couleurs serpentent les unes contre les autres et font de cette eau saumâtre qu’est la surface du tableau un lieu de vie bouleversant. Il y a de la tendresse dans la paresse de Marquet, une inclinaison pour le confort des salons enfumés, un goût pour leur pendant au petit matin dans la brume des ports de pêche et d’achalandage. La fumée est un monument chez Marquet, un véritable œsophage qui court au travers du tableau et auquel tout un tas de ramifications vient s’accrocher. Quand la Seine se fait jaune comme lors de L’Inondation à Paris 1910, c’est une bile lente qui s’écoule jusque dans les rues et les boulevards. Le ciel lui-même se fait exécrable, mais Marquet continue à dévider son tube digestif sur sa toile sans sourciller. L’éclat de joie du petit cheval à peine brossé qui traverse le pont Saint-Michel vaut bien tous les cris et les hourras des fauves au loin.

Pour bien comprendre la peinture de Marquet il faut voir ses dessins et mettre le doigt sur ses petits bonhommes. Ce sont eux, toujours agiles, s’agitant, minuscules dans les tableaux, qui leur donnent ce je-ne-sais-quoi d’excités alors que tout y est endormi. Il y a dans leur présence une très honnête humilité qui décharge les tableaux du poids du temps qui passe et des lourdeurs du quotidien. Marquet les peint avec un entrain qui fait d’eux de petites étoiles scintillantes déchirant l’uniformité et l’ennui de leur fulgurance quasi métaphysique.