La question du sujet chez Robert Longo est un mystère. Enjeu ou simple objet d’observation ? Il porte chez l’artiste la marque de son temps. Malgré la prolifération des images, malgré l’abandon du regard au flux d’un grand huit en boucle, un arbre décharné mille fois vu, un impact de balle usé par des décennies de films de gangsters, une vue d’eau parcourue de reflets lumineux, un couché de soleil sur la mer, toutes, images d’Épinal, ne cessent de s’évanouir pour mieux revenir avec la nuit.

Immense glacier en quatre panneaux, Iceberg for C.D.F, dont la forme, écrêtée comme un silex, est parcourue de démarcations horizontales marquant des strates, se dresse prêt à s’écraser dans le fracas des millénarismes accomplis. La force de ces dessins est de ne formuler aucune promesse ni aucun avertissement. Il ne fait que guetter le moment où le sublime viendra passer son voile sur notre temps. D’ici là, sa grande ombre blanche aura le goût d’un décor de théâtre. Mais quand la lumière s’allumera, alors elle deviendra phénoménale.

D’autres ombres, plus intimes celle-là, occupent l’œuvre de Robert Longo. Elles sont le fruit de photographies prises aux rayons X devant des œuvres célèbres. Celles-ci, dénudées par le mécanisme optique, prennent des airs expressionnistes, hallucinées. La Bethsabée de Rembrandt se mue en une Women de De Kooning ; La Chambre à Arles de Van Gogh se met à dégorger du charbon, comme happée par le passé d’évangéliste de l’artiste dans le Borinage ; le Saint Jean-Baptiste de Vinci est parcouru de petites lueurs étincelantes qui le font crépiter tel un mirage en pleine décomposition. Chacune est par ailleurs accompagnée d’une copie en format réduit issue d’une photographie traditionnelle. Ainsi recroquevillées, elles trouvent un état de repos qui leur permet d’être constamment en mouvement entre l’une et l’autre version. Ici l’artiste parvient à une tension qui n’est ni contrainte par l’Histoire ni par l’expression de nos soupirs. Les sujets, de part leur identité, agissent comment des alter ego en forme de petits diables dans leur boite, qu’une fois ouverte, on ne parvient jamais plus à fermer parfaitement.