Plus ou moins démembrés, plus ou moins désarticulés, des kilomètres de film noir et blanc sortis de leur bobine ont été collés sur des lanières de plomb. La succession des plans et des images construit une lenteur, une formidable et enveloppante lenteur déployée sur trois niveaux de tôles ondulées que réunit un puits central où pendent, telles des saucisses à sécher, les films éventrés d’Anselm Kiefer. C’est toute une vie d’atelier qui se voit sortie de la cage thoracique de l’artiste pour prendre l’air.

Le rien qui sépare les images les unes des autres donne à leur familiarité le sentiment de s’éterniser. Enroulées, les images étaient tendues comme des ressors. Elles perdent cette dynamique une fois lestées. Plus rien ne se casse en elles. Le plomb, souple et malléable, les fige mais pas comme si cela devait être définitif ; au contraire, il leur impose une condition temporaire. Les images mises à séchées deviennent un matériau fictionnel. Coincées à jamais dans l’hypothèse d’une déformation – d’une possible manipulation – elles répètent leur innocence que personne ne peut plus croire. Ce qu’elles portent ne compte même plus. Sortie de l’urgence, la question de leur véracité est écartée au profit de celle de leur permanence. Car comment continuer à vouloir les lire quand leur langage s’est transformé en litanie. Comment continuer à vouloir les déchiffrer quand elles bourdonnent la même note acide et perpétuelle, telle une goûte d’eau fuyant d’un robinet.

En montant, en montant vers les hauteurs, enfonce-toi dans l’abîme ; plus on s’élève dans la tour, plus on comprend que mille autres, pareilles à celles-ci, se trouvent ailleurs, et qu’à l’intérieur attendent d’autres séquences, mille circonvolutions immobiles à leur croc de boucher, avec l’éternité devant elles.