Sur des pages découpées – formes aux rectangles débités à coups de ciseaux – se combinent les galbes et les ventres végétaux photographiés par Karl Blossfeldt. Les formes originelles de l’art constituent un tout, une cosmogonie viscérale, que le collectionneur a disséqué.

Si la photographie rend compte de la complexité du monde, la collection, elle, s’empresse de la démembrer afin de l’embrasser. La beauté des images est parfois le désavantage de leur intelligence ; la collection la rend néanmoins visible.

Les tiges et leurs évolutions répondent aux volutes des Hauts fourneaux photographiées par le couple Becher permettant aux formes de s’imbriquer les unes dans les autres à mesure que le pas du regardeur construit un paysage. Rapidement, elles deviennent fluides et se meuvent sans que l’on ne puisse plus comprendre leurs articulations. Leur paysage tisse une nappe par dessus laquelle viennent se coucher celles que déposent nos sociétés et qui se meuvent comme un drap que l’on secoue au vent, un drap lesté d’innombrables tâches qui pèsent et l’alourdissent considérablement. Pourtant il faut continuer à secouer pour faire s’envoler la poussière. Quand elle se dissipe, ce que l’on découvre ce sont des cimetières, les hautes croix de Farm Murder Landscape photographiées par Santu Mofokeng ; ce sont des routes, des lac artificiels, et les tonnes de déchets qui s’accumulent et construisent leur propre géologie dans les Vues de Boa Vista depuis le marché de Roque Santeiro de Jo Ratcliffe ; toutes les cicatrices inscrites dans le tissu social d’Afrique du Sud et que soulève David Goldblatt.

Dans la collection Walther, l’Afrique est au cœur de cette mise à nu. À partir de ce continent, se sont séparées les populations, se sont tracées des routes qui sont devenues des rues et qui, pour certaines, ont pris la rigidité d’un bannissement. Droites comme un doigt qui se tend, elles indiquent une direction. Mais que se passe-t-il entre Lafayette Street et Grand Street que photographie Thomas Struth ? Que se joue-t-il à chaque bâtiment, chaque intersection d’Every Building on the Sunset Strip d’Ed Ruscha ? Ce ne sont que des propositions de tourner ou de s’arrêter, les illusions d’une liberté arbitrairement enchâssée dans les sillons creusés par l’habitude. Dans ces images, point d’êtres humains.

Quand les figures apparaissent, multipliées à la vitesse du vent, elles deviennent comme les fleurs et les boutons de fleurs de Blossfeld : des myriades infinies formant un tissu continu, que secoue à son tour le tambourinement des pas en fuite.