Free ride est une forme prise de rhumatismes. Bloquée en un S à moitié à terre, étrange et définitive, calcifiée jusqu’au point de ne presque plus se mouvoir, la sculpture de Raphaël Zarka est un objet inerte sur lequel on s’assoie sans réfléchir, profitant de la rectitude du morceau pour trouver un peu de repos. Cette forme fatiguée peut apparaître comme l’expression de la plus grande lassitude. Et pourtant, ainsi allongée elle dispose d’un potentiel héroïque inattendu. Elle est skatable. Ses angles et ses lignes sont un appel, une incitation à s’en prendre à elle, à s’y fracasser à répétition jusqu’à obtenir la figure voulue, usant ses arêtes par frictions mille fois réitérées en faisant fuir les passants et les pigeons par grappes entières de matière grise et bête dans la plus jouissive des rages adolescentes.

Le Mobile (1967) de Francisco Sobrino qui lui fait face partage cette fatigue de façade qui s’efface dès lors que l’on se saisit de lui. Il consiste en un grand caisson noir tout en longueur à l’intérieur duquel tiennent en suspension sur des ressorts quatre cercles blancs. L’ensemble est parfaitement équilibré, rien ne bouge. Sauf à ce que quelqu’un décide de toucher l’un des cercles – chose éminemment improbable tant un tel acte est associé à du vandalisme à l’intérieur d’une galerie d’art. Or ici c’est bien ce qu’il faut faire. Et plus encore que de mettre en mouvement l’œuvre pour en activer le cinétisme un peu vieillot, il s’agit d’expérimenter le doute face à une barrière invisible et purement sociale. Ce geste, simple et inoffensif geste de la main, permet à l’œuvre d’exister est aussi celui, défendu, que l’on a appris à réprimer en toute circonstance, et a fortiori dans un espace privé.

En dessous du fantasme, là où l’interdit n’a aucun sens, la vidéo What shall We do Next ? (séquence n°2) de Julien Prévieux rassemble des mouvements sans affect ni désir. Effectués les uns après les autres à la manière d’une chorégraphie, ces gestes qui sont les nôtres, banals et ordinaires, s’avèrent entièrement réglementés. Ils ont été brevetés et appartiennent le plus concrètement du monde à une entité qui peut en disposer et permettre ou non à d’autres entité d’en faire usage. À leur endroit se jouent des secrets industriels, des sommes d’argent effroyables que personne ne nous a appris à éviter.