Posée au pied d’un escalier raide et étroit, une grande photographie carrée de presque 1m50 de côté barre totalement le passage. Elle est maintenue au sol par des bandes de scotch transparent qui recouvrent toute sa surface. Les bandes la préservent des pas qui la foulent dès lors que quelqu’un se décide à emprunter l’escalier. Pour le moment, le scotch la protège, cela ne tiendra peut-être pas toute la durée de l’exposition mais dans son aspect clairement temporaire se joue justement la possibilité qu’à un moment donné les bandes se décollent et que progressivement un coin de la photographie se retrouve à nu, laissant aux passants de plus en plus indifférents la possibilité de se prendre les pieds dedans, de trébucher, de la déchirer et peut-être de tomber.

L’image est de Sam Lipp, elle représente une bouteille de jus de fruit en verre, vide, étiquetée Pure, photographiée en gros plan sur un trottoir bétonné.

Partout ailleurs d’autres œuvres occupent l’exposition : une céramique suspendue, quelques dessins, des photos à nouveau, des objets, des tableaux et une vidéo. Et puis, toujours au sol, deux autres images scotchées de la même manière que la première, présentant la même bouteille lâchée et brisée sur le même trottoir.

Le trottoir est devenu le sol de la galerie, gris l’un comme l’autre, mais d’une nuance différente. Ce dédoublement par l’image attire l’attention à lui. Une main invisible pousse à baisser le cou et empêche de voir le reste malgré l’absence totale d’intérêt que présentent les images. Leur effet est presque du même ordre que celui que l’on subit lorsqu’à table, pendant un repas une télévision laissée allumée diffuse un programme parfaitement nul, mais dont ne parvient pas à se détacher. On entend, on voit le reste, on se concentre, mais rien n’y fait, les trois images de cette bouteille en train d’être jetée au sol semblent entrainer dans la chute qu’elle figure le regard de ceux qui, trop précautionneux au début, s’y sont laissés prendre.