Le dispositif est tout simple, il permet à Ismaïl Bahri d’enregistrer dans ses vidéos l’ondulation des courants d’air.

L’artiste dispose une feuille blanche devant l’objectif de sa caméra, celle-ci filme en plan fixe. Quand la feuille recouvre totalement l’écran, elle prend la couleur du ciel et de la lumière du jour qui se diffuse paisiblement au travers des fibres du papier ; en se soulevant sous l’effet du vent, elle laisse apparaître le paysage choisi par Ismaïl Bahri. Sa surface change alors de couleur, s’assombrissant sous l’effet de l’ombre qu’elle projette. Elle fonctionne comme un obturateur activé par l’air et le hasard de la brise masquant une importante partie du champ de vision. L’image, sans être secondaire, se soumet aux souffles. Le déplacement de l’air lui donne un élan, un battement ; sans lui l’image n’est qu’aveuglement.

Ces souffles, on les découvre doux, lents ou sautillants, presque mutiques, se réveillant par moments sans que rien dans le champ d’enregistrement de la caméra ne puisse autrement  laisser supposer que le vent se soit animé. Derrière la feuille blanche on aperçoit la campagne, parfois la mer, et de temps à autre passent quelques personnes. Faute de suffisamment d’air pour totalement soulever le blanc, on ne voit jamais leur visage. Il ne sont que jambes et corps jouant et s’activant à on ne sait quoi. Les vidéos sont muettes. Aucun indice ne vient perturber l’ignorance que fait balbutier l’astucieux système.

À l’écran, la feuille sur laquelle rien n’est écrit agit comme un filtre. Grâce à elle les images révèlent leur condition parcellaire. Le cadrage, laissé à l’air du temps, n’est plus un choix de lisibilité, ni même celui d’un message. Seule la lumière de la feuille délivre un sens, un sens chargé d’humeurs et qui assèche la peau – un sens qui flotte au grès des mouvements d’air, cachant la vue, peut-être par nihilisme, peut-être aussi par pudeur.