Le travail de Jules Olitski crée une tension entre l’immédiateté du tableau et l’épaisseur de concentration qu’il condense. Comme pour se préserver du vide qu’ouvre la couleur pure, l’artiste voile ses peintures, il les satine et les entoure d’insondables manipulations d’alchimiste.

Ces toiles monochromes aux teintes rompues, coupées par une matière accidentée, témoignent d’une élaboration tempétueuse, progressivement adoucie pour atteindre un état d’équilibre, entre nacre, émulsion et vernis. De même que décélèrent les eaux d’un estuaire pris par la glace, le flux de la peinture semble avoir été ralenti, lentement amené à céder, à s’immobiliser. Par endroits les ultimes lignes de force apparaissent encore, figées à la toute dernière minute. Ces petites bulles de vie bleuies répandent des reflets irisés, témoignant par la lumière qui s’y réfléchie du feuilleté des moments ayant conduit la peinture à son terme.

Hypnotisé par cette lumière pâle, on s’approche avec la même attirance que l’on peut ressentir à proximité d’un puits. La tentation de s’y jeter est grande, et d’autant plus tentante que l’artiste nous l’interdit. En enveloppant la profondeur chromatique avec l’épaisseur du tableau, il comble l’espace que creuse la contemplation. Il en fait un domaine vaporeux et confortable où l’œil s’enfonce mais ne perce jamais. Pour l’atteindre du regard il faudrait en traverser le fini somptueusement élaboré, dépasser la délicatesse et parfois l’impériosité appliquée par l’artiste. Ce n’est que derrière, en dépassant les miroitements et la séduction de ces effets de façade, que s’ouvrirait le domaine du peintre.

Or cette envie, ce désir d’inatteignable, est une projection de l’observateur – un fantasme que cultive Olitski. Il a conscience de cette contradiction, entre l’omniprésent immatériel et la dimension charnelle des œuvres. En accentuant les bords de ses tableaux, il en souligne et en indique la nature tangible. Ce sont des parapets, des margelles auxquelles se raccrocher.