Gilles Aillaud et Jurg Kreienbühl sont deux artistes aux trajectoires très différentes. Héritier de l’architecte qui y érigea les grandes Tours Nuages à Nanterre pour le premier, habitant volontaire du bidonville de la même ville pour le second. Ils auraient pu se rencontrer. Autour des années 60, les restructurations sociales et économiques du rêve des Trente Glorieuses périssantes ont induit bien des malaises et bien des désaveux dont la figuration en peinture fut l’expression, longtemps tue de l’un et de l’autre, mais aujourd’hui visible dans l’exposition des deux artistes à la Galerie Gabrielle Maubrie.

Jurg Kreienbühl montre la vie solaire et salie des ouvriers, la plupart immigrés. Les portraits qu’il réalise sont baignés de douces expressions, simplement rompues par la fatigue et le poids trop lourd des vêtements trop rarement changés. Or ces endroits conservent un optimisme étonnant. La Banlieue Parisienne du peintre a sur ses briques le carmin marbré de blanc des entrecôtes bien épaisses. Sous un très ciel bleu, il convoque sans détour le petit pan de mur jaune derrière lequel, tous, avons joué au sortir du déjeuner, les mercredis après-midi, quelle que fut la météo. Derrière lui, les immondices forment des collines entre les ruelles et bouchent la vue à court terme, mais elles ne bouchent ni la lumière ni la cime des tours érigées au loin.

Gilles Aillaud, peut-être trop bourgeois, ne peut pas se confronter à cette crasse mais transpose cette réalité dans les zoos. Tête de rhinocéros, eau qui se retire sur le sable et qui crée d’instables alluvions, la peinture et le dessin de l’artiste palpitent tout doucement, si doucement que l’on ne peut presque plus parler de palpitation, mais de tout un dégradé de battements accordés aux rythmes des vies sans voix qu’il représente. Dans son travail les êtres sont silencieux, c’est ainsi qu’il peint les fauves et les insectes, c’est ainsi qu’il adoucie l’exiguïté des cages, c’est ainsi encore qu’il introduit une part d’infini dans les grilles et les carrelages répétés, ainsi que serpentent en lignes souples et apaisées ses observations végétales et animales (minéraux inclus).