L’exposition regroupant Rubens et ceux qu’il influença s’ouvre en plein air. Le Paysage à l’arc-en-ciel est une pastorale joyeuse, animée au premier plan par deux couples et un joueur de flûte. Ces personnages entourés d’animaux dispensent une joie gracieuse ; couchés dans l’herbe fraiche ils discourent et badinent à l’ombre de grands arbres. Au loin, le paysage se poursuit, quittant les tonalités brunes et vertes profondes qui rafraîchissent le premier plan pour s’éclairer de voiles bleues et jaunes pâles transpercées par un formidable arc-en-ciel. Véritable canalisateur de lumière, il attise l’ombre portée par les frondaisons équilibrant le tableau autour de leur séparation : d’un côté le terrestre, le trivial, l’amour charnel, de l’autre le divin, le sublime, l’amour filial.

Toute sa vie, l’artiste va essayer de comprendre les premières et de jouir des secondes.

Constable s’inspire de cette partition, mais ne peut s’empêcher de prendre parti pour l’humidité. Bien plus que de halos solaires, sa peinture est faite de sous-bois, de flaques, de réverbérations et de francs cours d’eau. Ainsi, Cottage at East Bergholt a la rudesse des giboulées qui sèchent aussi rapidement qu’elles s’abattent sur la campagne. Le temps ne se laisse pas compter, il progresse et avale la campagne à grande vitesse ; les arcs-en-ciel que l’on y trouve ont à peine le temps de se déployer que déjà il leur faut se déplacer.

Du paysage l’exposition mène aux mondanités où Rubens agence ses fêtes comme ses drames. Les vies de ses contemporains s’y ébrouent de manière fabuleuse sans que cela ne semble déloyal aux scènes du Nouveau Testament qu’il produit en même temps. Le retable du Christ sur la paille est conçu autour d’une diagonale descendante, occupant presque tout l’espace du panneau central. Pris dans la chute lourde de son corps sans vie, retenu par les pleurs des personnages rougis de douleur, le Christ s’écroule. Les faibles dimensions du tableau et son cadrage frontal, très serré, envoie directement l’observateur dans l’intimité de la souffrance.

Souffrance encore, mais sans deuil cette fois dans la feuille d’étude pour La Chute des damnés. Elle est occupée par une vingtaine d’hommes et de femmes, nus, épais et replets, certains encore roses, d’autres déjà gris. Tout à leur fin, ils tombent – mollement –, s’agrippent et se lamentent. Les poses exquises de ces damnés font d’eux de parfaits nigauds, surpris par la punition, incrédules comme s’ils étaient saisis au milieu de leur sommeil par un mauvais rêve un peu insistant impossible à chasser. Bien obligés d’ouvrir les yeux, ils découvrent avec paresse l’ampleur du problème. N’y croyant pas encore, leurs chairs immenses ondulent et s’étirent dans les morsures qu’elles subissent.

L’exposition s’achève avec une étude pour la Nymphe surprise de Manet. Il s’agit d’un tableautin fait d’incertitudes où vibrent trois personnages, une première femme de dos s’éloigne, occupée à distraire un petit chien jappant, deux autres, plus proches de nous, nous font face. Elles sont sans visage ou presque, l’une est nue et assise, l’autre se tient debout, voilà tout ce que l’on distingue. Le reste est fait de tentatives, de peinture amoureuse et fébrile, jetée ici, enlevée là, pleine de joie et d’envie, de chairs et de frissons.