La peinture de Luc Tuymans induit milles petites déductions.

Sa matière, il l’applique simplement, en peu de couches, par frottis, avec toute la sophistication polie et aventureuse d’un explorateur prenant le temps de se perdre. Cette manière il la fait circuler dans les tableaux par zones et corridors, passant de l’une à l’autre presque à l’aveugle, de proche en proche, telle une souris arpentant un labyrinthe par simple esprit de parcours, sans forcément formuler l’idée d’une issue. Ainsi, l’image est sillonnée de grandes lignes droites trompeuses menant à plusieurs chicanes, certaines donnant sur des embranchements, d’autres, plus nombreuses, dans des culs-de-sac. Le regard suit pareillement ces cheminements pâles et cloisonnés, mais dont les parois tremblent comme si elles étaient faites de papier ; d’ailleurs l’image se déchire par endroits et ouvre d’importants espaces indéterminés – ces épanchements finissent toujours par trouver des veinules où ils peuvent, tant bien que mal se discipliner, mais avant ce moment, libérée, la peinture est en effusion.

Visages, lieux, objets et paysages se dessinent de cette manière.

Les sujets semblent avoir été induits de la même façon. L’exposition de l’artiste à la Galerie David Zwirner comporte : trois faces masculines, un ciel nuageux, un obélisque entouré de grands pins, une cheminée en briques, un bosquet foisonnant de végétaux et de lumière vive, une nocturne de plage, un paysan enchapeauté, un pendule mauve. Le lien entre eux, s’il existe, participe de la dilatation littéraire initiée par les tout premiers tableaux de l’artiste et dont la fin ne pourrait bien jamais advenir. Chacun des tableaux est une vignette étayant la longue description qui sert d’introduction à cette histoire. On en connaît de nombreux détails, sans toutefois avoir de certitudes quant à leur intérêt et leur authenticité. Les narrateurs dont les portraits sont brossés avec justesse n’ont guère les qualités d’éloquence pour accomplir leur tâche, plus rarement encore, ils détiennent des informations utiles en dehors de l’indication de leur propre ignorance. Objets, épisodes et alentours – mêmes lointains – sont consciencieusement indiqués sans toutefois donner suffisamment d’informations pour que l’on puisse déduire s’il s’agit de souvenir réels ou de fantasmes.

Il ne s’agit pas d’une énumération exhaustive, mais d’un désir de circonvolutions narratives, naïvement indolentes face à la nécessité d’en venir aux faits. Car c’est un fait, on ne sait rien de l’intrigue. On a beaux se savoir la longer depuis un bon moment, en connaître vaguement les contours, on ne l’a ni vue ni entendue.