Self-portrait at Noon – Marlene Dumas se représente le visage ample, bordé par une chevelure claire et brouillonne qui remplit tout l’espace laissé libre. Le regard dans le vide, fatiguée, l’artiste ne regarde pas, elle sait que le reflet glacé de la photographie n’a pas suffit à la retenir, la peinture a pris le dessus ; là, tout se brouille, se mélange et se réforme, indéniablement similaire, presque identique, mais autre.

Les portraits qu’elle réalise ont cette qualité étrange d’être clairement quelqu’un sans pour autant avoir d’identité sinon celle donnée par la combinaison d’éléments simples, tel que le sexe, l’âge, l’état de fatigue, la race, parfois le prénom.

Il y a en premier lieu l’élégance d’un geste mesuré, mal assuré mais déterminé ; puis, la couleur franche, heureuse, sans arbitraire revendicatif. Quand l’artiste colorie de bleu les ailettes du nez et les lèvres de Moshekwa elle ne le décrète pas, cette teinte, elle est allée la relever depuis les strates les plus profondes de la chaire pour la porter à la vue de chacun.

Ainsi, la peau, et les yeux qui l’habitent, sont la grande affaire de l’exposition. La première est souvent fine, extrêmement légère, sauf dans certains visages empâtés et redoublant de gras sec comme si l’expression de ces modèles était figées par une maladie sous-cutanée dont l’artiste voulait rendre palpable la purulence latente. Ailleurs, les épidermes ont la souplesse des voiles guidés par l’intuition de la forme qu’elle créé en même temps qu’elle la recouvre.

Par les orbites se faufilent les yeux. Ceux d’Helena No.2 partent sur le côté. Ce sont les organes d’un regard que seuls les visiteurs sont aptes à animer. Le va-et-vient qui s’en suit est politique. Et c’est cette dimension politique qui donne leur poids aux peintures de Marlene Dumas, elle les leste d’une forme d’identité un peu lourdaude, mais une identité mémorielle, collective, publique et impudique – finalement presque aussi désagréable et inchoisie que celle dont la vie en collectivité nous drape en permanence. Ce sont des hommes et des femmes qui ne parviennent pas à être un, et dont les peaux flottantes s’entrechoquent et se froissent, mais jamais ne forment une pièce unique.