À l’endroit de la feuille le stylo Bic a creusé d’innombrables sillons parallèles ; l’encre noire appliquée méthodiquement et avec persévérance sur presque la totalité de la surface a fini par faire corps avec le papier, de son gras elle a imprégné les fibres les plus profondes, de son jus elle l’a lissée, le couvrant d’une pellicule souple et vernissée aux reflets d’hydrocarbures bordeaux noyés de verts ou de bleus selon la position que, face à eux, prend le regard.

L’envers, on le devine, doit porter les marques ravinées et bosselées du travail de l’artiste. Pour s’en rendre compte il faudrait être en mesure de caresser les noirs, mais cela est évidemment impossible. Alors reste le loisir de l’observation et des suppositions. Chacune des œuvres semble avoir enregistré un rythme qui lui est propre ; ici le papier a plus souffert qu’ailleurs, il est presque fripé, là il ne porte aucune trace d’encre, il a été laissé visible par Beverly Baker.

Le dessin a les qualités d’un tracé sismographique, mais il faut se garder d’y lire l’enregistrement du frémissement de l’eau qui boue. L’insistance que l’artiste met dans ses dessins, et qui varie de l’un à l’autre, n’est pas que la retranscription des ses humeurs. L’enthousiasme, l’excitation, l’impatience et la rêverie qui s’y lisent sont aussi – simplement encadrée par le rectangle du papier – l’expression d’un temps qui passe. La fenêtre est toute petite et le flot, lent, se répand selon une temporalité ordonnée par la retranscription de textes suivie de leur recouvrement, total ou partiel. Tout d’abord apparaît le langage – par mimétisme ; puis, celui-ci se densifie, se mélange et se systématise avant de disparaître – inaudible – dans l’ondulation de la feuille chargée de signes à touche-touche et s’exprimant de concert. L’addition finie par créer une note unique, une note riche de milles nuances, mais qui, incompréhensible, ne portent pas de titre, seulement identifiable par numéro d’inventaire, BAK010, BAK037, BAK057…