Une fillette rose et blonde sautille dans le rose d’une chambre accordée à sa tenue. Marianna (the fairy doll) est une très jeune danseuse classique qui répète des enchainements de pas. Tout à ses sautillements elle sourie. Se jette d’un côté, se jette de l’autre, et évolue dans l’espace rectangulaire avec la grâce enfantine de sa gestuelle parfaite mais incomplète. Les bras sont bien tendus, le menton haut, chacun impeccablement coordonné au papillonnement des jambes encore un peu courtes. La musique qui l’accompagne résonne avec la voix du professeur de danse.

Rineke Dijkstra se contente de filmer la séance. Marianna ne s’arrête que pour recommencer ; elle recommence, avec le même entrain, la même amplitude de rebond, le même sourire, exactement le même sourire. Puis s’arrête à nouveau, écoute un bref instant et reprend. C’est seulement dans ces intervalles qu’apparaissent par moment de brèves modulations de son sourire, comme si la peau de son visage se tendait imperceptiblement depuis sa nuque déplaçant de quelques millimètres ses expressions qui, le temps de reprendre leur place, laissent dans le mouvement apparaître des émotions.

The Gymschool, St Petersburg est diffusé sur trois écrans. Une jeune fille, peut-être 13 ans, réalise pendant un temps des figures compliquées au sol. Elle est remplacée par une autre fille, plus jeune de quelques années, même tenue, figure similaire ; puis elle est à nouveau remplacée par une autre fille que l’on découvre s’étirer dans le triple cadrage rigoureusement immobile qu’a choisi l’artiste. D’autres encore passent, certaines accessoirisent leurs contorsions à l’aide d’un ballon rose fuchsia qu’elles font tenir en équilibre dans le creux de leur dos ou à la pointe réunie de leurs pieds. Chacune de ses interventions se ressemble, même si l’éventail des figures qu’elles effectuent s’élargie progressivement.

Ces filles d’une grande minceur utilisent leur corps comme s’il était un outil, une sorte de grue articulée dont elles devraient apprendre le maniement. Il leur faut connaître les vérins et les butées, les savoir parfaitement huilées et s’en servir avec précision. Ces corps qui semblent ne plus être les leurs à la manière dont la plupart des gens sont à eux, ces corps, elles sont en train d’apprendre à les posséder.