L’espace qu’impliquent les œuvres de Jesús Rafael Soto est silencieux. Un silence particulier, de ceux que crée l’attention portée à un certain point quand elle oblige à choisir : cesser d’entendre pour tout simplement continuer à voir. Et pourtant, cette œuvre n’est pas sans musicalité ; tout en elle est pincements, gammes et équilibres répétés. Il est même des moments où seuls les silences ordonnés par cette musicalité offrent une minute de répit à la perplexité qui accaparent nos capacités oculaires. On les trouve dans les fines rayures blanches et noires qui accompagnent de leur nervosité presque toutes les œuvres murales de l’artiste. Elles ont la particularité de parfois accuser le geste de l’artiste. Ici, la répétition pousse la précision au bout de ce que permet la patience, mais de ces irrégularités quasi imperceptibles naissent des moments de sursaut. L’œil qui s’y attarde, peut faire une pause.

Car partout ailleurs Soto s’applique à le bousculer. De crocs en jambe en coups d’épaule, il trébuche. L’œil est séduit puis débouté, tout à son habitude d’interpréter l’espace il va trop vite, faillit quand il s’agit de voir, se reprend, se dément, change d’avis, se met à trembler.

Les signes et les plans que superpose l’artiste posent la question. Qui, d’eux ou de nous, transforme la réalité ? Le plus souvent c’est nous qui sommes fautifs. Et c’est justement pour cette raison d’orgueil que nous coupons l’audition.

Cela ne dure qu’un temps. Il n’y a pas de trucages dans ses œuvres. Elles jouent de nos perceptions en les poussant à trop en faire, mais sans agressivité. Le tapis dans lequel nous nous prenons les pieds est incommensurablement agréable. Un mirage qui prend forme grâce à l’action inexacte de la mécanique optique. On s’y enroule complaisamment. Profond, suave, il ne contient rien qui puisse irriter. Seis Pianos vibrantes offre même la tendresse matinale d’un petit déjeuner sur nappe ; affable, agrémenté de thé, les reflets blonds dans l’enchevêtrement gris des brindilles métalliques noires et blanches se confondent avec la rosée et la dorure des croissants à demi entamés. Nul besoin de contrôler ce que l’on voit, le fond de l’air est frais, mais est compensé par les rayons du soleil qui arrivent reflétés de toutes part.