Au surlendemain des pluies de novembre – alors que les plages ont été rongées par les vagues –, de l’étendue de sable fin ne reste que le squelette de galets et les polders naturels formés par les déchets végétaux accumulés au fond des criques. Essentiellement constituées de branchages aux aiguilles de pin, ces nappes vertes et marron sont couvertes d’éléments plastiques multicolores. Depuis la rive elles s’apparentent à des sapins de Noël effondrés. Une fois le décorum balayé par les courants, les écorces, rongées par le sel et le sable, s’effilochent et, tout comme l’aubier, laissent place aux trognons de forêt. À leurs extrémités les déchirures vont se polir, blanchir à mesure que se simplifient leurs formes.

Il n’y a pas la Méditerranée en Suisse. Les écorces sont enlevées à la gouge.

Miriam Cahn s’y emploie avec rudesse et avec toute l’application que l’on peut mettre dans l’exercice d’un art martial. La foule des Alterswerk qui occupent presque la totalité de l’espace au sol de la Galerie Jocelyn Wolff témoigne de la discipline de l’artiste. La forêt est à terre, toute sève jugulée, et aux murs de petits écrans diffusent les vidéos saisies lors des exercices auxquels elle se livre pour se préparer. Ses mains, ses cuisses, mais jamais son visage, y apparaissent en prise avec des mottes de terre aux formes anthropomorphiques. C’est un sexe qu’elle tient entre ses doigts, une tête qu’elle agrippe, son ventre mou collé à la glaise. Le geste de ses phalanges qui repoussent la matière meuble et humide creuse des sillons peu profonds et parallèles. Comme si elle ne voulait pas modifier la forme mais prendre sur elle un subtil ascendant, renouvelant la surface, la décapant de la couche superficielle où se posa son premier regard. Ainsi mise à nue la forme peut être étranglée.

C’est ce que Miriam Cahn reproduit à partir des troncs. Les entailles qu’elle pratique procèdent du même labour de la surface. Les ciseaux ne s’enfoncent pas profondément, mais ils s’enfoncent lourdement ; implacablement ils assignent au bois l’aspect flotté des troncs qu’abattent de leurs gifles les tempêtes méditerranéennes.