On s’enfonce dans les toiles de Per Kirkeby comme on atteint l’extrémité d’un champ abandonné pour cause de succession qui s’éternise. Les propriétaires n’avaient pas mis d’ordre dans leurs affaires, le bien s’est transformé en lande ne conservant de son aspect initial que ses lisères, intimes et revêches fondations.

En paysage comme en peinture, la haie qui s’hérisse, dense, folle et éprise de liberté, construit un espace impossible à franchir sans éprouver d’appréhension. L’avant est à quelqu’un, l’ensuite est à un autre, et entre les deux, dans ces lieux repoussés en bordure, la terre en jachère abonde de surprises, de ronces et de mûres. Il y a l’exubérance des troncs qui scandent le périmètre et fournissent du bois de chauffage ; à leur pied poussent des plantes tordues brandissant leurs tiges telles des évidences, des mousses épaisses roulées sous des décennies de souches, des buis secs, des graminées jamais domestiquées. Plus on monte, plus les frondaisons s’organisent pour occulter le mètre d’après. Et sur elles, le ciel se jette par rafales, courbe les branchages et en arrache des parcelles de lumière. Mi-ombragés, mi-balayés par le soleil, les bocages aux couleurs dégradées de sève et de jaunes piqués par les insectes ondulent une vie qui leur est propre.

Le temps d’un orage les toiles s’assombrissent de bruns, ruissellent de feuille en feuille et se couvrent des éclats dorées qui se forment à la surface convexe des goutes de pluie. Enracinées dans leur talus, les étroites langues végétales de Paknios II et III ne sont jamais réellement trempées, trop impénétrables, trop vite séchées par les vents, elles sont faites pour abriter la chaleur et dispenser la fraicheur. Kirkeby l’a bien compris. Ses peintures portent à leur surface la sédimentation du beau temps. Sa manière de travailler par couches raclées et superposées opère aux yeux des observateurs telle une écorce constituée par l’accumulation de chaleur. Or cette chaleur, si elle imprègne la toile, ne la brûle pas, ne la cuit ni ne l’insole, au contraire, elle agit comme une enveloppe minérale extrêmement fine et fragile formée par l’action lente mais inexorable de la douceur des jours d’été.