Féminines, parfois sur-féminisées, toutes les femmes dont le corps apparaît dans l’exposition de Richard Prince à la Galerie Almine Rech ont dû un jour poser. Mais ce ne fut pas pour l’artiste, trop fétichiste celui-ci préfère s’emparer de leur image.

Entre ses mains, imprimées puis retouchées, ces femmes sont devenues des figures grises, prises dans un manteau de béton tout aussi gris. La peinture les a recouvertes de sa texture de feutre, douce et voluptueuse, appliquée par pans, un bras, puis une jambe, une cuisse, puis une fesse. Avec entre chacun une couture noire. De près, plus encore qu’à la couture, ce travail révèle s’apparenter à de la maçonnerie ; coffrage après coffrage Richard Prince structure son regard ; il leste une forme ici, soulève un geste là. C’est le mythe de pygmalion qui s’inverse, les femmes deviennent sculptures, perdant ainsi leur nom et l’identité de leur visage pour devenir des muses, inaltérables puisque dégagées de toutes conditions humaine. Leurs jambes s’arriment au sol, s’y plantent telles les fondations d’un bâtiment en construction. Galatée perd chair sous le regard du peintre, la douceur de sa peau est progressivement remplacée par le grain du ciment battu à frais. C’est lui qui, désormais, frissonne sous l’action du regard, lui qui se rétracte à l’ouverture d’une porte, soudainement enveloppé par un courant d’air chargé de caresses en devenir.

Ponctuant le jardin d’hiver où règnent ces statues de pierre et de chair, les dessins de l’artiste fonctionnent comme des post-it. Les images sous-jacentes servent toujours de creuset au désir. Mais dans ce cas, Richard Prince ne va pas jusqu’à ériger autour d’elle l’agencement complexe de dermes et épidermes qu’il déploie dans ses grandes toiles, il se contente de superposer sur les corps la transcription griffonnée de leurs lignes. Ici, et seulement ici, les visages apparaissent. Aux indifférentes se mêlent les grimaces et les traits stridents de ces femmes sur le point de se figer à jamais dans le fantasme de l’artiste.