Domestique, le travail de Chen Zhen semble constamment entouré de quatre murs. À la fois siège de l’intranquillité et ultime rempart, la maison est le lieu de toutes ses œuvres. Il s’agit d’une très ancienne bâtisse à l’architecture massive et élancée. Elle ne se situe pas en Chine, mais ailleurs, n’importe où ailleurs ; tout à l’intérieur est imprégné d’une fine pellicule de cire protectrice, les meubles, le parquet et les parois en sont patinés jusqu’à la racine. C’est une maison dans laquelle on ne pénètre pas, c’est elle qui s’insère en vous. Elle importe le poids de son histoire, que l’on ne peut mesurer et qui s’étend aussi loin qu’il est possible à une masse de s’étendre.

Dedans se trouve Round Table, l’installation inaugurale de la rétrospective Chen Zhen à la Galerie Emmanuel Perrotin. Constituée de deux grandes tables emboîtées, l’une mangeant une partie de l’autre, elle a la forme d’un huit ramassé sur lui-même. Une quinzaine de chaises toutes différentes s’inscrivent en elle par leur assise incrustée au plateau. Dérisoire cacahuète ou symbole de l’infini, la réunion qu’elle ordonne n’admet aucun invité. Et pourtant, impossible de ne pas se sentir concerné par ce qui s’y trame ; on voit trop bien que ce simulacre familial se joue non pas entre ses participants, mais sous le vis-à-vis de ses spectateurs ; spectateurs que nous sommes, impuissants, debout comme des laquais, attachés au spectacle par la même curiosité morbide qui fait ralentir les automobilistes quand ils dépassent une ambulance à l’arrêt.

Ici comme ailleurs dans la maison, les chaises et les tabourets ne sont pas faits pour que l’on s’y assoie. Ils sont occupées. Et dans certains cas, ce sont eux qui supportent le poids de la maison. On le comprend avec les sculptures d’Un village sans frontières où des constructions faites de bougies se sont installées telles des excroissances grignotant tout l’espace autrefois réservé au confort et au repos des voyageurs. Comme pour signaler que cet état est permanent, les bougies ont été allumées afin de couler les unes sur les autres, et se sont cimentées mutuellement avant d’être éteintes.

Ailleurs d’autres maisons attendent de trouver place. Beyond Vulnerability en présente une poignée alignée sur une grande table en verre. Les formes et les couleurs sont variées, chacune possède son identité, chacune sa bonne raison pour prendre place, et de patiemment, lentement et profondément, imprégner les veines du bois.