Inaugural, Granchio (Crabe) 1936 est un truculent amas orange sur une base marron. On reconnaît aisément la forme mais ce qui saute aux yeux c’est le plaisir grumeleux – comme une effervescence congelée – de la pâte qu’utilise Lucio Fontana. Pleines de trous, de veines et de cavités tantôt creusées tantôt obtenues par érosion, ces céramiques aux coloris inhabituels, francs et tranchés, expriment une diversité d’expériences sensorielles vertigineuses.

Ce travail fait de chaos et d’abcès percés progresse de la même manière que progresse la pente d’un ravin ornée de traces archéologiques charriées puis laissées par le lit d’une rivière désormais asséchée. On trouve ainsi des groupes de sculptures quasi sphériques – Concept spatial, nature –, masses longuement malaxées et malmenées mais qui échouent superbement à être des astres. Elles sont posées à terre, sans orbite et affaissées à leur base comme le sont toujours les fruits bien mûrs une fois tombés. D’autres, telles la Céramique Spatiale 1941, semblent prises de tensions intérieures intenses et vives, comme si la surface noire et opaque – couleur de lave – de ce cube souffrait de crampes d’estomac, comme si elle allait imploser.

Viennent les toiles heurtées, trouées, ces concepts spatiaux si reconnaissables. Les premiers portent encore la souffrance des accouchements difficiles, les toiles blanches virées à l’écru, grises et fatiguées sont criblées de soulagements. Fontana use son concept sur des toiles, mais aussi du fer-blanc, de la terre cuite. Tout cela est encore sale. Et ces impuretés le conduisent à continuellement ajouter à ses œuvres des épaisseurs et des matières. Il en diversifie autant que possible l’application de ses coups : écorchures, griffures, coupures, trous, fentes béantes, gondolant de vomir le vide.

Les lacérations de l’artiste jouent autant de ce qui recouvre la toile que d’elle-même. Ce n’est plus seulement le support qui est béant, mais le gras de la peinture qui se digère et travail de l’intérieur, donnant le sentiment d’être une chair qui retourne encore et encore sa langue dans sa bouche. Le rouge sur les lèvres que créent l’acte de fendre les rendent plus bavardes et plus généreuses, et ne se contentent plus de bailler ou de se flétrir, elles fleurissent pour l’éternité et le vide.