C’est un très grand tapis qui est étendu au sol de Notre-Dame de Paris. D’or, de roses et de cramoisis, il s’étend tel un trésor parfaitement plat sur une demie longueur de nef. Juste une demie longueur ; c’est là que réside la surprise de cette proposition, dans l’immense volume de la cathédrale où l’homme est à l’échelle de ses pas, le tapis n’a pas été prévu pour être disposé à l’endroit où il est présenté aujourd’hui, mais plus loin, comme son nom l’indique, dans le chœur liturgique du bâtiment, pour recouvrir un marbre que seuls les ecclésiastiques foulent.

Or désormais le décor a été inversé ; l’église, devenue un lieu de tourisme autant que de foi, le silence nécessite d’être demandé, et les offices, recroquevillés dans une portion congrue de l’espace, détournent le bavardage des badauds grâce à cette relique qu’entrevoyaient autrefois les fidèles assis au plus près de l’autel, rangs désormais clairsemés. Le tapis a donc été installé parmi les visiteurs du jour auxquels est offert le loisir de s’y pencher, de l’admirer avec délectation, mais pas d’y prendre place.

On découvre ainsi l’exceptionnel raffinement de la construction iconographique de l’ouvrage. De haut en bas, une matrice de gerbes entoure l’imposante croix qui occupe le centre du tapis. Elle-même se trouve fleurie et ornée de végétaux aux tonalités estivales, riches en or, en ocre et en jaunes des champs. L’étendue, ainsi illuminée, ressemble à une parcelle de blés bien mûris entremêlés de fleurs ; image quelque peu surannée de la vie à la campagne où le beau s’applique au bien par complémentarité pour le plus grand bonheur de la communauté.

Mais tout cela semble bien loin. Parfaitement figée dans ses brocarts et ses trous de mites, cette flore, nul ne la touche plus. Désadossée du culte, l’image se révèle fragile, durement sélectionnée par l’histoire de l’art, son temps et le travail qu’elle représente s’étant perdus, elle sera roulée et rangée pour ne pas être plus abimée.