Des jeunes avec des vieux, l’une des richesses de la scène artistique new yorkaise est l’indéfectible lien qui s’y noue entre jeunes et artistes confirmés.

Le savoir-faire de Jeff Koons, l’exigence de sa production, sont au sommet de cette dynamique associant dans un même atelier le travail de jeunes assistant et d’ancien combattants. Cet atelier est d’autant plus symptomatique qu’à la fascinante réussite de ses sculptures s’oppose la médiocrité de sa peinture. On se demande d’ailleurs pourquoi Jeff Koons continue à imposer ce grand écart entre le parfait et le mauvais, à croire que c’est délibérément qu’il souligne la ligne invisible qui sépare l’un et l’autre, comme si l’objet de son travail ne pouvait être contenté par sa réussite, et devait se justifier par un échec : Jeff Koons,  meilleur artiste de sa génération, parce que plus mauvais peintre.

Or cette exposition est pleine de peintures. À commencer par celles, sublimes de R.H. Quaytman, dont la finesse et l’équilibre font face à celles de Julian Schnabel dont l’exubérance et le productivisme à outrance sont, non pas leur opposé, mais leur complémentaire. À l’un comme à l’autre, la production d’histoires et de repères sert de base pour travailler. Mais, chez l’un, il y a une concentration du contenu, jusqu’à le rendre méconnaissable et à faire de chaque morceau de particularisme un trait commun, alors que chez l’autre il y a un étalement de la couche historique. Schnabel tire dessus comme un ouvrier étale sa peinture pour recouvrir une surface aussi grande que possible. New York est ainsi, aussi vaste en contreplaqué qu’elle n’est précise dans sa substance. Deux dimensions qui convergent dans le travail de Rob Pruit ; ses peintures fadasses et ses dinosaures rutilants, ensembles associés, ressemblent l’immense pâté en croûte qu’est le Museum d’Histoire Naturelle de New York, temple du carton-pâte et de la richesse superposés.

C’est dans cet étalement que les artistes choisissent de s’emparer de la ville. Par des morceaux non symptomatiques, méconnaissables, des bouts de ville pareils aux autres villes. Badass de Joyce Pensato symbolise ce flou, il peint un masque qui pourrait être celui de Batman, mais aussi celui de n’importe quel enfant déguisé pour Halloween, et dont la confection aurait pu être réalisée sur les établis de bricolage faits de périssables et de consommables, éternellement en cours puisque n’ayant d’autre fin que celle de se reproduire, que présente Uri Aran. Wane Guyton travaille lui aussi sur ces boucles visuelles et narratives ; les trames qu’il imprime rappellent la bureautique, les cafés près de la photocopieuse, mais tendent aussi  au sublime des fonds raclés au couteau des natures mortes de Fantin-Latour. Les toiles de Ryan Sullivan sont elles prises dans une gangue vivante de matière, à la fois vive et épaisse, cartographie de l’écoulement des signes chimiques qui les composent. Leurs surfaces sont pareilles aux marbrures de reliures, authentiques et uniques dans leur facticité.

Entre banlieues et bidouillages, formalisme et inventivité se recomposent constamment. Le tout, un peu comme dans l’œuvre de Nate Lowman, se caractérise par une marche forcée, un refus de la stagnation. Quitte à faire marche arrière, à brûler les réserves. L’ode aux garages et aux dimanches passés à réparer quelque chose ou à préparer des décorations de fête est le combustible inépuisable de la création new-yorkaise.