La peinture danoise du XIXe siècle est issue d’une période de grandes transformations politiques et sociales. Réunies dans la contradiction entre le rétrécissement du territoire et le déploiement culturel qui lui est contemporain, cette peinture est aussi discrète qu’essentielle. Son ambition nationale, bien que nourrie des traditions picturales germaniques et italiennes, lui confère une singularité neuve dénuée de pittoresque ; visages et paysages, francs et n’ayant rien d’autre à montrer qu’eux-mêmes, s’y immobilisent avec justesse.

Les premières œuvres de ce siècle, regroupées autour du sculpteur Bertel Thorvaldsen, accusent encore la coquetterie des sujets d’histoire et mythologiques. Ainsi, l’Hroar et Helge fuyant les assassins du roi Halvdan leur père du peintre Christian Rosenberg, représente deux figures, peu habiles, enfantines, pouponnes et presque grotesques, comme si l’artiste avait dépeint des jouets plutôt que de réels enfants. Auréolés d’une traînée étincelante, ils courent, s’enfonçant dans un bois rempli d’une lumière aussi surnaturelle qu’improbable. La synthèse que réalise ce petit tableau, simplification formelle appliquée au sujet typiquement danois, laisse apparaître dans sa bizarrerie les prémices des qualités ultérieures des peintres de ce pays.

Ces qualités, on les trouve tout d’abord dans les nombreux portraits que présente l’exposition. Ce sont de petits formats rarement identiques. Humbles et intimes, même quand les personnes qui y sont représentés bombent le torse, tel que l’Autoportrait de Carl Frederic Sørensen, ou, comme dans celui de Gustav Theodor Wegener, pensif et romantiquement accoudé, il fume sa pipe devant la nature incroyablement lumineuse qui s’ouvre derrière lui. Peintres, enfants et animaux, jeunes femmes et plus âgées peuplent cette vie de ferme apaisée et ensoleillée.

Viennent les paysages où la ville semble inexistante, impossible et inutile dans ces environnements déjà réduits. Une magie discrète s’y joue, à l’image du Paysage de Søllerol d’Anton Edvard Kieldrup. Un tronc d’arbre gît en deux morceaux tout près de sa souche. Le bois est rouge, riche et dense, il a l’air de n’avoir grandi que pour servir à façonner la vie des hommes qui vivent là. Les fougères et la sciure accentuent le sentiment de calme et de silence ; c’est comme si l’arbre avait été coupé il y a un instant – en attestent les copeaux –, sauf que la végétation alentour n’a pas été piétinée.

Puis la mer ; Christian VIII à bord de son bateau à vapeur Aegie regardant les manœuvres des navires de guerre du 2 mai 1843 de Christoffer Wilhelm Eckersberg pourrait être une allégorie de ce pays, autrefois géant et désormais réduit à portion congrue. On y voit une toute petite embarcation qui tourne autour de deux gros trois-mâts encombrés par la fumée des canonnades. Le vapeur s’agite comme s’il était présent pour la générale d’un spectacle de pyrotechnie, tournoie avec panache, sans pourtant prendre part à la bataille.

Le froid, enfin ; dans la Cour de ferme en hiver de Laurits Andersen Ring, un buisson de branches fines se déploie sous un ciel lourd et opaque. L’artiste l’a rainuré à la hampe pour signaler la pluie qui tombe sans discontinuer. Au premier plan, l’eau stagne partout, l’humidité y est une présence solide, on ne peut que redouter d’avoir à la traverser, mais c’est à ce prix que l’on parvient au dernier plan, à la petite maison qui fait corps avec l’environnement, froide à l’extérieur, mais promettant chaleur et simplicité à l’intérieur.