Une première photographie, allongé depuis un coin de murs bleus, un homme lit, indolemment déchaussé ; Van-Tao, Vietnam 1972 indique le cartel. Le travail de Raymond Depardon a et conservera toujours cette étrange compréhension de l’individu par-delà les événements, cette façon d’accompagner les hommes, de les nommer quel que soit le contexte de guerre, de haine, de catastrophe ou de joie qui l’entoure. Cette intelligence, Depardon la tient de son engagement documentaire. Ouvrier envoyé pour rapporter des images, souvent des preuves et des chocs pour faire les unes – toutes ces unes qui se succèdent jour après jour et qu’il faut infiniment remplir – et que lui choisit d’occuper par le quotidien, ce matériaux conjonctif qui remplit tout, qui étouffe, gave et possède si entièrement nos vies, mais qui pourtant s’avère tellement délicat à recueillir.

Les photographies de Depardon font sens parce qu’elles sont tenues par le photographe à l’intersection de l’utile, de l’image de presse qui informe, et de l’attendrissant de l’universellement humble. Elles ne sont pas gratuites, un objectif les rend nécessaires – objectif que le photographe n’aura de cesse de questionner et de remettre en cause –, mais elles sont aussi pudiques. Elles sont proches de ceux qui les regardent, elles sont des miroirs intimes dans lesquels ne se reflète qu’une seule image pour chaque personne qui les regarde.

Mais ce n’est pas cela qui est présenté au Grand Palais. Comme si le travail de Depardon avaient besoin de se conformer aux stéréotypes de l’art contemporain des salles de ventes pour faire œuvre, il y est fait photographies, tableaux, séquences, organisation égrenée, molle et complètement aseptisée.

La visite revient sur les pas du photographe, d’abord en Angleterre, chez les pauvres, les vieux, les moches de droit commun, puis ailleurs en Europe et dans le monde. Tout cela est plein d’anecdotes. Rangées en lignes droites de formats identiques, parfaitement interchangeables, les images ne valent plus pour elles-mêmes ; devenues œuvres, elles sont collectée comme des vignettes pour album, mais sans le plaisir du livre. Passée à l’emporte-pièce de la série, elles ne sont plus que de pauvres suites accumulées, des narrations qui captent et figent le potentiel discursif que possède pourtant ce travail.

Avec cette exposition, on découvre à quel point la photographie est fragile, à quel point il faut s’en occuper, à quel point il est simple de la réduire à ne plus rien être.