L’exposition Illuminations au Palais des Beaux-Arts de Lille est le fruit d’un travail minutieux et inestimable réalisé dans le Nord de la France pour recenser les enluminures dans les collections nationales ; un projet également conduit au musée des Beaux-Arts d’Angers et au musée des Augustins à Toulouse.

À Lille, Jan Fabre a été associé à cette exposition. La parenté formelle de son travail motive ce rapprochement, elle donne aux fragments de manuscrits anciens une actualité. Comme eux, les tableaux faits d’élytres verts et or, aux reflets bleus chargés de brun et de miel, brillent sous les signes que l’artiste a créés en les ordonnant. De loin, on voit des blasons ornés de figures édifiantes encadrés de sigles et de phylactères. Ce sont des médailles commémorant des événements anciens, souvenirs glorieux de conquêtes fameuses, que ces grands panneaux accrochés en hauteur dans l’atrium du musée gargarisent. Les corps d’armées et d’institutions étatiques à l’héraldique ambiguë que l’on commence par admirer sont pourtant à l’opposé de la célébration ; on le comprend progressivement, à mesure que sous les éclats les images délivrent leur sens. C’est d’horreur négrière dont il est question. Jan Fabre a emprunté au marketing colonial ses attributs pour les mêler aux souffrances des peuples sous joug.

De près, les élytres accolés de cet Hommage à Jérôme Bosch au Congo semblent former une carapace de saurien, piquante et acérée comme une myriade de griffes, ou autant de corps morts ; alignements de restes et de trophées caractéristiques des catacombes et des musées d’histoire naturelle, simultanément macabres et spectaculaires. Ces corps morts et pétrifiés n’ont plus la moindre individualité ; symbole de beauté mise au pas par l’impérialisme, ils ne sont plus qu’une surface sur laquelle l’artiste grave l’histoire.

Au sous-sol sont présentées les enluminures. Entourées d’objets d’orfèvrerie et de sculptures de Jan Fabre, elles recréent pour le visiteur une geste délicate parcourant les Flandres jusqu’en Italie, en Angleterre, en France et en Espagne. Ici encore l’origine, le sens des textes et des images, se perd dans l’inventive beauté que leur ont donnée les maîtres anciens. D’ailleurs, pour la plupart, leurs noms ont été oubliés avec l’usage des opuscules qu’ils avaient ornés. Devenues anonymes en même temps que l’on a cessé de les lire, les enluminures prennent valeur d’œuvre. La religion s’efface alors que le sacré émerge, les litanies sont détournées par le courant vivace des croyances et du goût. Illisibles mais désormais visibles, elles nourrissent ceux qui viennent à elles par plaisir. Leur élan sécularisé ne connaît plus de limites ; et leur murmure, audible par chacun, recompose à l’infini l’histoire amoureuse de la main et de l’œil.