Au dernier étage de l’exposition anniversaire de la Galerie Emmanuel Perrotin, tout au bout d’une section de parcours plongée dans une demi-obscurité, trois écrans silencieux accueillent le travail d’Ivan Argote.

Ce sont trois vidéos réalisées dans trois grandes villes, ici projetées au ralenti. On y voit de dos des passants dans des rues. Des grappes de personnes prêtes à traverser la chaussée dans telle ou telle direction, banales, marchant seules ou en groupe sur les trottoirs. Presque toutes à un moment se retournent. S’étant senties observées, hélées, elles regardent dans la direction de la caméra qui se situe au loin derrière elles. Le plus souvent elles sourient. Si souvent que l’on s’imagine que l’artiste leur dit quelque chose de gentil, qu’il fait des pitreries pour faire naître un brin de sympathie sur leur visage. À ce moment-là, quand commence à s’esquisser un mouvement autour de leurs yeux et de leur bouche, ils s’individualisent. Ces personnes ne forment plus simplement un groupe anonyme, mais un ensemble d’individualités rieuses dont on s’imagine qu’elles aperçoivent, à New York, Paris ou Madrid, par le plus grand des hasards, une personne qui leur est chère et qu’elles avaient perdue de vue depuis un moment.

Cette personne n’existe pas. À la place où elle devrait se tenir, c’est nous, observateur, qui regardons dans la direction de ces inconnus en pleine rue. Sans se connaître, sans jamais ne s’être vu auparavant, sans avoir besoin de se faire de promesses, ni même de se dire le moindre mot, on se retrouve lié à ces personnes par un mouvement de bonheur totalement inattendu. L’artiste, lui, n’apparaît jamais à l’image mais, au cœur de cette œuvre, il est le catalyseur de cet étrange miracle. Sa bienveillance, son charme, sa bonne humeur, les mots d’amour qu’il envoie de manière impromptue – non pas aux visiteurs de l’exposition, mais à aux passants, des inconnus qui se croisent – font disparaître la peur de l’autre par la simple action de l’art.

Tout cela est bref et repose sur l’effet de surprise. Mais on ne peut qu’y être sensible. Après les utopies, après les revendications avortées, les rêves déçus, le travail d’Ivan Argote, sans faire de déclaration, apporte cet éclair d’espoir gratuit que l’on ne voit plus si souvent dans les expositions.