Au Centre Pompidou Pierre Huyghe ne pense pas ses œuvres dans un contexte, mais en tant que contexte de son exposition. Un contexte qu’il développe comme une écologie des systèmes d’exposition, plus qu’un recyclage, une force de cannibalisme, un édifice creusé à même les sédiments : pure réactivation de l’anthropocène fantastique qu’anime un esprit en plein travail. L’humidité y est identique à celle qui règle à l’extérieur, les cimaises de l’exposition précédente (Mike Kelley) ont été partiellement réutilisées, le chien de l’artiste vaque, le son des vidéos est mauvais (mais pas trop), on peut passer devant sans s’arrêter, s’asseoir, ou tourner dans l’exposition comme un poisson tourne dans son bocal avec la majesté d’un roi en sa campagne.

La réussite de cette entreprise tient à cet équilibre. Coincé dans un espace arbitraire, Pierre Huyghe est parvenu à induire une circulation où la pauvreté apparente de son travail nourrit les œuvres entre elles. Cela se caractérise par la possibilité d’en expérimenter plusieurs simultanément sans que celles-ci ne soient passivement accrochées sur un même mur, ni qu’elles entrent frontalement en résonance, on dirait plutôt qu’elles ont été disposées par un volonté de gain de place. Nature et société y cohabitent et s’y chevauchent, presque exactement comme elles le font à l’extérieur. Les animaux sont d’autant plus nombreux qu’ils sont petits, le bruit attire d’autant moins l’attention qu’il se répète. Même le temps que l’on ne passe pas à regarder se passe à apprécier l’exposition.

Le plus étonnant dans l’expérience de l’exposition de Pierre Huyghe c’est le rapport inversé à l’exhaustivité qu’il propose. À rebours de l’envie d’en voir davantage, il semble que l’on soit invité à lâcher prise ; alors que l’ensemble est particulièrement dense, que ses engrenages tournent au plus juste les uns contre les autres, on pourrait se contenter de peu et, parcellaire, la visite serait aussi pleine. Cela donne le sentiment que l’exposition est un commencement où tout est présent sous une forme potentielle. Les œuvres ne démontrent pas leur contenu, elles en proposent des fils qui peuvent aussi bien être appréhendés sous une forme narrative, contemplative ou réflexive. Les trois actes de l’Expédition Scintillante dispersés dans l’espace donnent une première structure au dispositif. Le premier acte créant l’expérience artificielle de l’extérieur – la pluie, la neige et la brume –, le second un confinement nocturne, musical et mélancolique, le troisième, un obstacle horizontal sous la forme d’une patinoire. Tout autour, différents moments allant du ludique au silencieux font des visiteurs des éléments des œuvres ; les assemblées assises devant la vidéo prophétique The Third Memory participent à l’événement tout comme le banc solitaire et en plein passage installé devant Zoodram suppose une prise de position qui n’est pas seulement celle de l’observateur répétant les gestes des autres observateurs. Même possible devant Timekeeper, œuvre laissée en cours de réalisation et sans surveillance, chacun peut s’imaginer participer sans pour autant que cela n’implique d’évolution de l’installation, il s’agira toujours de traces de ponçage sur un mur, de poussière au sol et de pierres abandonnées à d’éventuels poursuiveurs.

Bien évidemment l’ambition de l’exposition distille de la frustration. Le cercle vertueux que tente de proposer Huyghe est pipé, mais il ne se répand pas en surenchères. Ce sont d’ailleurs ces failles que l’on devine qui rendent l’ensemble cohérent.

L’articulation de ces moments révèle l’intérêt majeur du travail de l’artiste, son occidentalité. La position de Pierre Huyghe est à ce titre particulièrement subtile. Si son travail porte un regard sur les notions d’étrangéité, de consumérisme exotique et se construit parfois en porte-à-faux de sorte à permettre un regard distancié du monde actuel, celui-ci est constamment et clairement enraciné dans son contexte. Il n’en est pas une critique ni une exergue, les extrêmes restes marginaux, il ne tente pas de faire ressortir de grossiers contrastes, ce que l’on découvre dans cette visite est la possibilité d’une anthropologie renouvelée, consciente et apaisée de l’Occident. Et cela, Pierre Huyghe y invite parce qu’il n’y a pas de cynisme dans son œuvre.