L’œuvre de Jasmina Cibic pour le pavillon slovène à la Biennale de Venise parvient par un subtil jeu de stéréotypes à faire pénétrer le regard là où la lecture est incompétente. La complexité de son propos est basée sur l’association d’indices simples. L’installation contient juste ce qu’il faut de d’entrain cinématographique littéraire et scientifique pour être passionnante, tout en étant relativement indéchiffrable pour ceux qui n’en possèdent pas la langue.

La première étape de la complicité nouée entre l’observateur et l’installation est visible depuis l’extérieur où, à travers la façade vitrée, on aperçoit un groupe de peintures – à vue de nez : impressionnisme provincial de la première moitié du xxe siècle –, ce même type de peintures que l’on croise en sous-préfecture, dans les bureaux à responsabilité, et parfois dans les couloirs de ministères et d’ambassades. Elles accueillent le visiteur, sceptique pour commencer. Ce sont des fleurs au fauvisme terne et tardif. Elles sont accrochées sur un jeu de rideaux et de lambris ondulés recouverts d’un papier peint blanc orné de motifs d’insectes, un travail très beau qui accentue l’impression de se trouver dans le décorum d’une administration. Puis, une première salle mène à une projection ; suit un escalier, à l’étage une autre salle de projection et, tout au bout, un boudoir ouvert sur le hall d’entrée que l’on voit en contre-bas. Le film présenté dans la pièce précédente narre une histoire automnale de fonctionnaires, élégante bureaucratie affairée dans de grands cabinets aussi majestueusement vides qu’inquiétant de solitudes. Il s’agit de la Villa Bled, construite par l’architecte Vinko Glanz, et qui fut une résidence d’été de Tito. Les échanges entre les protagonistes semblent régis par un accord tacite tu, que les silences et les périphrases contournent parfois. Il est question d’architecture, d’héritage Yougoslave, de taxonomie.

C’est que l’entomologie qui recouvre tous les murs (exception faite des tableaux vus dans l’entrée) est en réalité une question diplomatique. L’insecte, endémiquement slovène, est en voie de disparition. La situation exige qu’il soit protégé, qu’il fasse l’objet de recherches et de campagnes de prévention. Or il a été découvert et nommé dans le début des années 30 par un admirateur d’Hitler et porte le nom de « Anophthalmus hitleri ». Un nom qu’il est désormais impossible de changer.