L’œuvre de Braque ne nécessite pas d’être vue en grande quantité pour prouver la profonde unité qui la gouverne. Intrinsèquement, chaque œuvre possède l’envie qui mène à toutes les autres. Il en va ainsi de la rétrospective au Grand Palais, désir et satiété y sont ménagés par d’innombrables générosités.

La Nature morte au violon (nov. 1911) est un grand instrument de musique. Écartelé sur la toile comme s’il devait être tanné, sa surface épaisse est recouverte de grosses touches blanches régulièrement espacées qui lui donnent la rugosité d’une peau de crocodile. Le regard passe dessus avec la délectation que l’on ressent en caressant une maroquinerie de haute lignée.

Tous les murs de cette salle semblent être pareillement utilisés à la préparation de peaux, toutes différentes, et toutes ayant leurs caractéristiques propres, leur vie intime faite de camaïeux ocre, de repentirs gras, d’aplats et de suaves grosseurs.

Cette vie de safari disparaît dans les papiers collés. Elle est remplacée par un jeu, tectonique de surfaces véritables, dessinées ou imités, prises dans leur propre piège illusionniste. Sur les murs, ces œuvres ressemblent à des parties d’échecs montrant diverses ouvertures, plusieurs problèmes solutionnés, des coups de maître et des blocages. On s’y attarde, connaisseur ou débutant, surpris par l’évidente beauté des ces coups de génie.

La Musicienne introduit une rupture. Cette femme au visage masqué, regarde droit devant elle, entourée de couleurs rompues et de tout l’arsenal de Georges Braque. Petits points, tirets, lignes, surfaces illusionnistes et surfaces matérielles, l’artiste y rassemble son savoir pour l’exposer. Le mystère éventé, il semble déclarer vouloir continuer à découvert, prendre tous les risques, ne plus se cacher derrière l’art et l’invention. Désormais seul, il commence à peindre.

L’horizon s’ouvre, mais guère plus qu’il ne lui faut pour y faire pénétrer le quotidien ; les paysages s’embrassent d’un seul coup d’œil, les natures mortes sont prêtes à être mangées, les tables à recevoir, l’atelier à se fermer pendant les séances de travail. Dans les petits tableaux Braque le maçon parvient à figer ces moments, mais dans les grandes surfaces, les Intérieurs, son travail se couvre de fissures, il tombe en lambeaux entre les aplats. Ces lézardes blanches sont l’usure de la réalité, qui, en eux, s’évente. Salon, Billards, Guéridon et Cheminée, souffrent de ce mal attaquant les représentations. Le réel, usé jusqu’à la corde, ne tient plus qu’à quelques fils, que parfois, Braque colmate d’empâtements.