La visite à l’Arsenal s’ouvre sur Belinda, imposante concrétion de tuiles et de ciment en forme de stalagmite industrielle. Œuvre de Roberto Cuoghi, elle se situe exactement à l’intersection des trois orientations données cette année à la biennale de Venise : le bricolage compulsif, l’investissement par l’art contemporain du terrain de l’art brut, l’exploration encyclopédique et naturelle.

Le parcours est ponctué par ce type de présence très physique. Plus loin, ce sera les groupes de sculptures arrachés à la terre d’Hans Josephsohn puis de Phyllida Barlow, et à la toute fin, les longs tubes agencés comme des accumulateurs de Walter De Maria.

Mais ce n’est pas ces œuvres qui retiennent l’attention. À mi parcours, l’installation de Rossella Biscotti, I dreamt that you changed into a cat… gatto… ha ha ha, seulement constitué de petits murets gris qui forment au sol un plan de salles vides parvient à condenser l’espace sans lourdeur. Ces murs bas mais non abimés, comme le seraient ceux de fondations affleurant sur un site archéologique, indiquent une animation, une vie dont on constate l’absence, à défaut de pouvoir être persuadé qu’elle ait totalement disparue. En marchant dans ce plan on redonne un écho à cette vie, on fait résonner nos pas dans ceux qui furent là autrefois. Or ici, tout est imaginé, c’est l’espace rêvé par les prisonnières de la prison de la Giudecca qu’a retranscrit Rossella Biscotti. Ce sont les souvenirs d’une liberté qui affleure et repousse comme les mauvaises herbes que l’on arrache sans jamais vraiment parvenir à les déraciner.

Le reste du temps est occupé à regarder les vidéos. Et tout particulièrement le face à face Camille Henrot et de Neïl Beloufa.

La Grosse Fatigue de la première est une encyclopédie numérique. Une retranscription de connaissances sous la forme de fenêtres chorégraphiées qu’accompagne une voix masculine marquant le rythme du défilement. Les fenêtres s’ouvrent et glissent, elles dansent pour nous qui sommes uniquement concentrés sur ce que nous voyons puisque l’interface geste / œil qui caractérise l’usage de l’informatique est rompu par l’absence de clavier. Dès lors, les informations ne se concentrent plus en petits points mais libèrent l’attention et permettent plusieurs lectures simultanées de l’œuvre. Tant et si bien que, regardant la vidéo, le spectateur, obligé de prendre parti dans l’arborescence des connaissances, devient l’interprète de sa propre expérience.

La vidéo de Neïl Beloufa, qui se trouve dans la salle suivante, documente la possibilité d’une station spatiale africaine. Des scientifiques en boubou expliquent l’intérêt de cet objectif. La brousse qui les entoure, le bêlement des chèvres, le bruit des insectes et le calme de la nuit participent au récit lui donnant la vigueur parabolique d’un conte, d’une histoire ancienne. L’imagination est au cœur de cette vidéo, la science et l’ubiquité en sont des éléments possibles, des bulles et des grumeaux dans une pâte à crêpe montée au fouet et à la main. Plus on la bât, plus ils gonflent.

On reste longtemps ainsi, assis à observer sa pensée s’étendre et vagabonder.