Être soi c’est être autre semble indiquer la section Moi des Rencontres d’Arles. Le noir et blanc y intervient pour bien signifier l’écart entre l’image et la personnalité qui s’y affirme. C’est un moi projeté ; parfaites images d’une idée qui est déjà bien loin de soi et qui apparaissent comme des existences qui ne donnent pas accès à leurs auteurs. Parfois dégradantes, parfois idéales, elles se situent invariablement par-delà le champ d’action de l’observateur.

Venu tard à la photo, Gilbert Garcin se prend pour sujet, il se monte dans le papier, se coupe et de colle comme une œuvre d’art. On le voit funambule et artiste, démiurge heureux et sérieux, façonner des agencements modernistes. Par moment son visage s’apparente à ceux des dirigeants communistes, cheveux courts et blancs, rides profondes, joues pleines, œil sans concession ; ailleurs, il sourit paisiblement, comme un Miro à Majorque. Entre citations et appropriations il choisit ce qu’il lui plaît et s’insère. Surréalisme et abstraction géométrique sont ses dadas. Dans sa poésie inexpressive il invite parfois une dame qui, comme lui, est strictement vieille.

Arno Rafael Minkkinen prend des autoportraits où il n’apparaît parfois presque pas. C’est le rapport de son corps à l’environnement qui l’intéresse, la géométrie qu’il parvient à faire apparaître, comme une sorte de Feng Shui dans lequel ses membres et son visage sont utilisés en tant qu’éléments d’un équilibre globale ; un équilibre non pas centré sur sa personne, mais composé comme une somme parfaite et reposante. Par moment, il y inclut son fils ou sa compagne, comme s’ils étaient des élongations de son propre corps. Corps qui, au fil des ans, ne change que peu, bien que ses poils soient à la fin moins lisses, moins juvéniles. Pour le reste, les paysages varient, les femmes aussi.

Même distance chez Miguel Angel Rojas. Ses photographies dans des cinémas pornos gays ont beau poser la question de savoir ce qu’est un corps masculin, de plonger dans le désir que ce corps induit chez ses semblables, en y incluant l’expérience du photographe lui-même, ces coups de rein en cascade résonnent sans toucher ; audibles mais impalpable, comme s’il parvenaient de la chambre d’à côté. Invisibilité toujours dans l’installation de Jean-Michel Fauquet. Plongée sous une lumière rouge, elle rassemble des sculptures en carton et, aux murs, des photos prises de ces objets. Ce sont des images étranges et mystérieuses, des paysages hantés, des visages retournés… Toute une mise en scène de bric et de broc qui entraîne le spectateur dans un exercice de négation de ce qu’il voit. On a beau avoir sous les yeux les preuves matérielles de la mascarade, certains visiteurs ne peuvent s’empêcher d’avoir envie d’y croire ; les autres les regardent, un peu ennuyés de ne pas parvenir à crier au loup dans le train fantôme.

Le corps devient une réalité beaucoup plus troublée dans les photographies de Michel Vanden Eeckhoudt. Pour ces images il colle humain et animal, faisant apparaître des monstres anthropomorphiques. Les singes sont des hommes, les publicités sont des hommes, les hommes sont des spectateurs hagards et muets.  Tant et si bien que l’on finit par ne plus faire de différence entre l’image et le corps. Exception dans le parcours, par le truchement des reflets dans les vitres, la matière hurlante et tordue que photographie M. V. Eeckhoudt se jette à la gueule de l’observateur pour se coller à sa peau telle une maladie hirsute et poisseuse.