Ultime section, Album est celle où les souvenirs se muent en incertitudes. Ici, le noir et blanc a presque disparu ; dans le sépia ou dans les gris, sous une couche colorée à la main, doucement, la structure des images se dissous avec le sucre des évocations. La narration, devenue archive, est exposée comme un document. De ceux dont a du mal à croire. Comme si ces photographies avaient été pensées pour qu’une fois rassemblées et mises à plats, elles se déconstruisaient d’elles même. Non pas que ce qu’elles présentent soit extravagant, ni qu’elles ne fassent de révélations, il n’y a en elles ni héroïsme ni réelles nostalgie, mais elles poussent à se demander si nos souvenirs nous appartiennent encore.

Les photographies de Pierre Janet de la France des années 30, apparaissent comme des réminiscences d’un temps homérique, celui des congés payés et des corps jeunes à la conquête d’un territoire. Vidée de tout enfants – il n’y a pas plus de parents – et où seuls quelques vieux apparaissent, elles rappellent à qui veulent bien y croire qu’en ce temps là le bonheur se fabriquait sur des routes caillouteuses, un appareil photo à la main et sans portefeuille. Sauf que, sous leurs vitrines ces photographies ont l’air d’avoir été produites pour des publicités ventant la vigueur de la campagne, les bienfaits du vélo et les seins fermes de Dina Verny. Pour certain jeunes, c’est peut-être un peu trop beau pour être vrai.

À fonds perdus présente la Collection Raynal Pellicier. Elle est constituée de photos de presse avant impression. Caviardées pour le bien de leurs usages, elles ont été annotées, recadrées retravaillées, détourées. Ce sont des documents de travail et des preuves, des archives et des pièces à conviction : elles sont vraies et totalement fausses.

Inversement, tout est vrai dans la vie bourgeoise, ses femmes apprêtées et en-chapeautées, ses bains de mer, le ski, les vagues, et le sport photogénique de Jacques-Henri Lartigue. L’exposition tient du journal intime, on le voit dans son voyage de noce, composant une vie de plaisir, une vie qui sonne comme le dernier carillon d’une époque révolue et qu’amuse la fréquentation du demi-monde et l’aspiration artistique du photographe. Dans ce roman-photo une photographie de la famille Lartigue attire ; au complet dans un lit, grand parent, parents et enfant se serrent face à l’objectif comme si leur vie ne se résumait plus qu’à cette petite surface douillette. Leur regard y est encore plein d’envies, sauf celui du grand père qui, lui, semble savoir. Mais savoir quoi ? Entre la réponse que donne l’image et la réalité de ceux qui regardent l’écart est bien de trop grand pour se faire la moindre idée.

Même perplexité dans les images du Studio Fouad installé à Beyrouth. Ces visages arabes ont l’air de sortir des années 70 américaines ; moustache, vêtement aux couleurs vives, mèche lisse, regard engageant et lèvres pulpeuses. Pourtant elles datent des années 50. Étrangement, quand on pense aux images du Liban aujourd’hui tout cela semble incroyablement loin. Ces hybrides, monstre arabo-occidentaux sont nés stériles. Ils n’ont eu de descendance qu’arabe ou occidentale et n’existent plus pour nous que nous la forme de photographie coloriée à la main.

Alors ? Adieu le noir et blanc.