La section Eux de Rencontres Photographique d’Arles regroupe les non classés, ceux dont le plus souvent les choix vont à l’encontre du bon sens. Et à ce jeu Wolfgang Tillmans est passé maître.

Il n’est pas nécessaire de citer les sujets quand on parle de cet artiste. Pourtant cette question est au cœur de son travail. Tillmans aime la photographie, il en voit partout et en prend partout, il aime les tirages, il aime les différencier, les imprimer en grand, en bonne et en mauvaise qualité et ne pas s’en justifier. Entrer dans une telle exposition, c’est faire sur soi le test que lui-même s’impose. Il faut regarder, battre son regard comme l’on bat une escalope pour la faire milanaise, il faut se le défatiguer. Ce n’est qu’en suite que l’on peut parler des sujets, des choix de l’artiste. Or, à ce moment les photographies disparaissent, les images deviennent des mots ; Tillmans est lacanien : son travail, suspendu comme des posters, récite le dictionnaire. Tout est à refaire.

À l’inverse, le travail de John Stezaker donne beaucoup plus d’outils ; des outils qui sont tout autant des chausse-trappes. En découpant des visages dans des cartes postales anciennes et des magazines, choisissant des têtes parfois connues qu’il hybride à d’autres, l’artiste donne trop d’indice à ses images. Et ce faisant, il fait de ces présences des béances. De même que les trous, les histoires se chevauchent et se contredisent. Mais sans qu’à aucun moment cela ne perturbe l’observateur voyeur. L’irrationnel devient neutre, presque paisible. Rien ne sert plus de savoir lire. C’est un peu la même chose avec le travail d’Hiroshi Sugimoto. Passé la surprise de voir ses photographies verticalisées, de ne plus les reconnaître, le noir profond toujours placé à gauche de l’image devient un mur tangible sur lequel il est possible de faire rebondir la balle molle des astres qui semblent s’y diriger comme s’ils allaient s’y écraser. La mer, masse opaque et dure est devenue un obstacle, on ne glisse plus dessus, on n’est pas porté par elle, elle s’oppose à nous pauvre filant d’étoile.

Le cas de Guy Bourdin est un peu à part. Le grand écart entre les toutes petites photographies personnelles, presque illisibles et tellement parcellaires qu’il prend au polaroïd pour lui même, avec les photographies de mode où la lumière et les couleurs donnent à celui qui regarde une grande richesse narrative, fait apparaître entre les deux une irrésistible immensité. En effet, comment passer des premières qui ont la couleur et la marbrure voilée d’un Opéra de boulangerie, aux secondes dans lesquelles les mannequins qu’il photographie sourient, jouent la comédie avec leurs vêtements, sans se perdre dans l’immensité fantaisiste qui se découvre à nous ?