La rétrospective du travail d’Ellen Gallagher au New Museum débute avec des œuvres des années 90. À cette période ses peintures semblent avoir été cousues par petits morceaux, or c’est un leurre, ce que l’on croit être des points sont en fait de toutes petites touches placées bout à bout, et qui, observées de plus près, ressemblent à des yeux écarquillés – une armée d’yeux, auxquels s’ajoutent tout autant de bouches fermées (ou hotdog sans saucisse) que l’on n’avait pas vraiment envisagé quand, de loin, ces peintures ressemblaient encore à des patchworks géométriques.

C’est que dans sa peinture l’artiste fabrique des signes dont l’hypothèse même d’une lecture n’est qu’à moitié probable. Pour en avoir le cœur net il faut s’approcher, regarder de plus près comment c’est fait, humer la surface et démêler les bijections optiques que créent l’épaisseur et les formes de la peinture. Au travers de ces illusions, de ces inoffensifs pastiches, l’artiste joue avec la surface et la perception que l’on en a. Mais l’expérience ne s’arrête pas là puisque que tout en divertissant l’attention, Ellen Gallagher mène une réflexion sur le sujet et la figuration.

Don’t axe me, série de 2013, concentre cette dualité. L’artiste attaque les surfaces en les grattant et en les pelant comme l’on rabote une planche. Elle fait ainsi apparaître les couches successives qu’elle avait appliquées au préalable. En agissant par zigzag et enchevêtrement d’arrondis, les formes qu’elle crée ondulent entre les quatre coins du tableau, parfois telles des algues envahissant un aquarium, parfois comme des boyaux en attente d’être charcutés. Ces méandres d’un millimètre tout au plus suffisent à donner l’impression d’une vie caverneuse aux toiles qui, cependant, comporte presque toujours un corbeau englué dans la matière visqueuse et noire qui recouvre les parties non grattées.

Au centre de l’espace d’exposition, une boite sombre et gravée de signes diffuse Osedax, une vidéo réalisée en collaboration avec Edgar Cleijne et formée de morceaux de films mis bout à bout. S’y succèdent des coraux, des êtres unicellulaires, un navire qui sombre et un montage multicolore, ce dernier étant accompagné d’une petite musique alors que les autres passages sont projetés en silence. Un silence bavard d’indices et de développements potentiels quant aux sources de son travail, mais là encore, on est invité à soupeser ce que l’on voit : nous ne sommes que dans une boite, elle-même dans une boite où les signes ne valent que pour la distance à partir desquels ont les observe.