Dans les années 60 Claes Oldenburg est brut de matériaux, plus tard il laissera de côté son tropisme pour le bricolage, mais alors, il s’en donne à cœur joie. Cartons ondulés et bois sont déchirés, tâchés, partiellement ou totalement maculés d’encre noire et sont associés librement sans autre forme de procès que celui de l’immédiateté.

C’est dans cette dynamique qu’il ouvre The Store (61-62). Pendant deux ans, Oldenburg occupe un petit magasin-atelier qui devient le théâtre d’une production calquée sur les rythmes de production et les modes de consommation industriels. Ce changement d’échelle le pousse à réinvestir ses matériaux, à les rationnaliser pour les extraire de la logique artistique et les inscrire dans une démarche où ils ne sont plus déterminés en tant que constituants d’une forme mais pour leur capacité à produire en masse et à se diversifier. L’artiste recourt alors à la peinture industrielle pour donner à ses sculptures et ses reliefs un aspect brillant et cheap à la fois. Tout un tas d’objets du quotidien américain émergent, Oldenburg les traite tantôt à échelle une, tantôt librement. Parfois ils prennent forme, incrustés dans des reliefs, comme s’ils étaient issus d’une frise sans fin, une frise morcelée et continuellement alimentée par la société de consommation que singe l’artiste. Le plaisir de barbouiller est palpable, l’inventivité de la main jouissive ; Oldenburg engloutit et régurgite avec la même faculté de digestion que les enchaînements de publicités à la télévision. On voit ainsi se succéder petites culottes et crèmes glacées, hamburgers, saumons fumés et ustensiles de jardinage.

Dans cette boulimie, l’artiste floute les frontières entre les objets et leurs représentations. Ces objets ne sont ni mimétiques ni usuels, ils sont tout autant publicitaires que réellement artistiques. La mécanique de ce magasin, où tout se vendait à bas prix, fait cohabiter et parfois s’inter-changer les dimensions indicielle et unique sans que les objets ne souffrent de cette indécision.

L’exposition se clôt sur trois grosses sculptures en tissu peint. De fait, celles-ci perdent l’aspect brillant et rigide des plus petites productions, mais Floor cake, Floor burger et Floor cone donnent envie de se vautrer dessus, leur forme visuelle s’associe à l’envie toute tactile de s’en approprier les volumes, comme on le ferait avec un canapé douillet un soir de novembre pluvieux après une séance de shopping.