Sous de nombreux aspects, Belgrade et la Serbie en général peuvent paraître lointaines, presque exotiques aux yeux d’Européens. Par son travail d’enquête sur la société contemporaine, et tout particulièrement quant aux processus d’évaluation sociale, Andreja Kulunčić dément ce sentiment.

Plusieurs études sont menées, à Naples, Split, Zurich, Zagreb, à Belgrade et en Autriche, chacune portant sur des problèmes communs à l’espace européen tel que la place des femmes dans la société, les rapports à l’immigration et au travail, à la dépression, au stress. Problèmes de conscience de soi et de respect des autres, problèmes d’intégration des plus faibles, problèmes de riches pensent-on parfois en observant les statistiques présentées. Mais Andreja Kulunčić n’œuvre pas seulement pour rendre visible les inégalités ; présenté à Belgrade son travail souligne tout autant l’étonnante continuité de l’espace social que recouvre sa zone d’action. Ce cycle d’enquêtes introduit la Serbie dans une compréhension des problèmes posés dans les sociétés occidentales qui place le pays au même niveau que les autres pays. En soulignant les difficultés rencontrées par certains groupes de personnes, elle efface la séparation qui existe dans l’imaginaire collectif autour des pays de l’ex-Yougoslavie, et, de proche en proche, de toute l’Europe centrale et de l’Est.

Mais outre cette réalité qui s’affiche comme un résultat scientifique, chacune des enquêtes pointe des problèmes bien réels.

Autrian Only, l’expérience menée en Autriche, fonctionne grâce à de petites annonces proposant des métiers peu valorisants, prostitué, femme de ménage, homme à tout faire, les tâches proposées sont décrites dans des prospectus distribués au plus grand nombre. Les travaux sont décrits de manière parfaitement objective tout en étant mis en avant comme s’ils étaient enviables pour des personnes ayant reçu une formation. En proposant à l’ensemble de la population des travaux généralement réservés aux immigrés de la même manière que s’ils étaient une réelle éventualité, cette enquête pose clairement la question aux lecteurs autrichiens d’accepter ou non un tel job, et si non pourquoi pensent-ils que les immigrés peuvent les effectuer.

Dans cette enquête apparaît en filigrane la réalité des nombreux immigrés serbes en Autriche, ces voisins que l’on découvre si proches de nous dans les autres enquêtes. Et par extension, les autres, tous les autres voisins qui, dans le déroulés des diagrammes et des statistiques, n’apparaissent plus comme des étrangers, mais comme des semblables.