De Dalou on ne connaît généralement que l’ombre des monuments publics ; pour le reste, une part de lui est à jamais contenue dans les statuettes de paysans et d’ouvriers à l’œuvre qui garnissent les cheminées des vieilles fermes et maisons d’antan.

C’est pourtant le sculpteur né du xviiie siècle que met à l’honneur le musée du Petit Palais. Le labeur ne vient qu’en fin, et il faut pour y parvenir passer par un Enfant couché ; bébé en terre rouge, allongé sur un nuage de volutes qui le redresse et donne à son regard une douceur souveraine à la fois froide et perspicace. Derrière sa vitrine, couveuse qui le protège de toute effervescence affective, sa moue plissée, son nez retroussé, ses poignets délicatement en mouvement, et toute l’intense vie intérieure qui l’anime donnent le sentiment que d’un instant à l’autre, il pourrait cligner des yeux. Ce serait un miracle.

Plus loin, Mirabeau répondant à Dreux-Brézé est accroché au-dessus de nos têtes comme si l’Assemblée constituante foulait au pied une estrade en équilibre sur nos fronts. Le relief met en suspension deux personnages dont les corps bandés se répondent avec éloquence. Ils semblent comme amarrés, tels des voiles flottant en l’air, portés par un souffle que, vu d’en bas, on devine sans nous parvenir. La grandeur de l’instant représenté n’en est que plus impressionnante, plus grave aussi. D’autant que les déformations qu’impose ce type de sculpture, et qui veulent que selon l’endroit où se pose l’observateur certaines figures grimacent quand d’autres sont auréolées, créent un frémissement permanent, presque cinétique, dans cette masse.

À  la fin de l’exposition, la sculpture descend de ses systèmes d’expositions. Après le divin puis le politique, c’est le trivial, le labeur qui est présenté. Une armée de petites figures en terre ocre, toutes également occupées à des tâches physiques, paysannes et industrielles, est réunie en rondes. Les hommes deviennent des corps, le regard disparaît presque totalement, seuls les muscles et les membres qui portent et œuvrent sans relâche permettent à l’observateur d’entrer en contact. Ici, les gestes sont sans mouvement, rien de virtuose, rien d’exubérant ; Tonnelier, Badigeonneur, Balayeuse, Débardeur, Terrassier, Bouchers, tous sont relativement similaires dans leur précise occupation. C’est d’ailleurs la même humilité que l’on reconnaît dans les visages de ces personnes âgées qui, un jour, décidèrent d’orner leur quotidien de figurines.