Giotto est une Arlésienne pour les historiens de l’art ; on le suppose être présent à tel ou tel endroit, on le cherche, le scrute, on envisage mille voyages en Italie, mais le plus souvent sa présence est discutable, partagée avec son atelier, ses amis et ses suiveurs. On peut courir longtemps avant de s’arrêter face aux fresques de la Chapelle de Scrovegni à Padoue. L’exposition du Louvre permet de s’arrêter un moment pour essayer de faire le point. Car ce n’est pas tant les prêts que le musée a réussi à obtenir qui valent le déplacement que la concomitance en un même espace des collections du dit musée. La fameuse prédelle du retable où Saint François d’Assise donne à manger à la bassecour – et dont la gloire a essaimé dans presque tous les parcs publics du monde – reprend le caractère intime et bavard qu’elle perd positionnée en alpha de la grande galerie.

Une très rare étude de Taddeo Gaddi : La Présentation de la Vierge au Temple accentue cette envie de prendre son temps. Ce dessin figure une architecture lumineuse, céleste, qui remplit l’espace ; elle est habitée de plusieurs personnages, tous allant en direction du cœur de l’église qui les entoure. L’ensemble est subtilement construit de dégradés et de lignes, allant du jaune pâle au bleu nuit de la feuille, et par endroits lavés de reflets vert d’eau révélant l’espace d’un vide, une transparence à partir de laquelle tout semble s’être formé. Comme si l’encre était du mercure, et que le souffle et les vapeurs émises par le mouvement de l’artiste s’étaient condensés sans qu’il n’ait eu besoin de poser sa plume sur le papier.

La Crucifixion de Giotto (et atelier napolitain) a été récurée par l’histoire. Le fond doré qui remplissait initialement le paysage de ce panneau a été éliminé pour être remplacé par un paysage lugubre. Cette fine couche d’or disparue laisse aujourd’hui les personnages auréolés d’un liseré doré, une ligne de lumière qui cerne les membres maigres et mollement étirés du Christ et des deux larrons. Ces trois formes verticales n’en ont que plus de pathos. Ils ont l’air de lames plantées dans la foule rouge et vermillon des soldats et des pleureurs rassemblée aux pieds des croix, dont toges et habits créent une mare stagnante que ponctuent des moments noirs et épais autour desquels le rouge se répand et serpente en un grand nombre de rivières. Ces lames dorées fendent le tableau et le scandent avec autorité, elles luisent dans la nuit tombée sur l’humanité. Comme des redites de l’événement qu’elles narrent, ces formes écorchées par leurs propriétaires re-pleurent dans leur corps la mort du Christ.