Shoji Ueda, Lucien Hervé, Harry Callahan, Willy Ronis, quatre photographes que peu rassemble. Peu ? Sauf à se souvenir qu’ils ont en commun d’avoir œuvré à une époque où les tirages étaient réalisés à discrétion, qu’ils ne dépassaient presque jamais la taille d’une petite affiche, et où l’on se plaisait à penser que la cosa mentale de la photographie tenait sur une photo d’identité en noir et blanc. Autant de raisons qui ont poussé la Galerie Camera Obcura à les rassembler pour fêter ses vingt ans. Ces caractéristiques sont résumées par la photographie de Lucien Hervé, Le Corbusier, Roquebrune-Cap-Martin. On y voit, en gros plan, un galet présenté dans les mains de l’architecte. Le gros galet oblong auquel ces appendices laborieux servent d’écrin est creusé d’aspérités et d’alvéoles qui trahissent une lointaine naissance volcanique quelconque. Or, pour Le Corbusier comme pour Lucien Hervé, il s’agit d’une œuvre ni fragile ni unique mais infiniment chérissable.

En descendant l’escalier qui mène au sous-sol, on est arrêté par une photographie de Willy Ronis peu commune. Marie-Anne, Nogent-sur-Marne a été prise dans un parc, par-dessus une vaste ombrelle de branchages, sous laquelle se tient assise une petite dame. De loin, on la devine emmitouflée dans un manteau à longs bords regardant le bal des feuilles mortes qui recouvrent tout l’espace de la photographie, et l’unifie comme un cocon ébouriffé de mille paillettes dentellées. Depuis le coin inferieur gauche de l’image, on remarque cependant un chemin oblique qui part et passe au près du banc qu’occupe la vielle dame pour se fondre ensuite dans la végétation. Tout comme le regard, tout comme le sens de l’orientation parmi les bribes de ciel opaque qui, pareilles à de la dentelle, emmaillent toute la partie supérieur de l’image, le chemin se perd dans les branchages.

Plus loin, on trouve un autoportrait de Shoji Ueda. Autoportrait avec un ballon où le photographe, la mine maussade, nous fait face au milieu d’un contre-jour nuageux. D’une main, il tient une petite baudruche le long de son corps, de l’autre il plaque la poche de son pantalon contre sa cuisse. Derrière lui le paysage se perd dans un espace indéfini dont seuls les débuts de pousses d’herbe autour de ses pieds apparaissent clairement. Cette bande gazonnée n’occupe qu’une maigre frange mais, malgré leur allant héliotropique, ce sont ces brins qui permettent au photographe d’être perpendiculaire au monde. Vu la tête d’enterrement du photographe, ce n’est déjà pas si mal.