La première salle est occupée par des corps aux peaux grisâtres et persillées. Averti, on s’attend au choc, mais ces morceaux d’humains, malsains à souhait, ne dérangent pas tant par leurs difformités que par la probité du regard du photographe qu’ils renvoient. Rien n’est violemment exposé, rien n’est exagéré.

Parmi ces scènes au nom de lieu, une image attire l’attention, Géorgie, 2009. Les liens et accointances sont nombreux dans le travail de d’Agata, mais ici l’étrange similarité ne va pas puiser dans l’horreur, elle est agglutinée autour du souvenir de La Crucifixion du Louvre de Pierre-Paul de Prud’hon. C’est le même brouillard épais qui enveloppe le corps, la même position de trois quarts par rapport à lui, le même visage baissé du côté opposé. Le corps à beau être féminin, cela ne change rien, les deux images s’emmêlent. Le vieux maître lui aussi fumait dans la chambre des enfants, il avait tout pour plaire au photographe. Pourtant, plus on l’observe, moins l’image évidente de la crucifixion n’est efficace. Cette photo n’a pas été prise dans ce sens, la femme que l’on distingue a plus certainement été photographiée allongée sur un lit où elle était attachée. Lit noir et humide, que l’on a redressé et qui la retient de tomber en même temps qu’elle s’y enfonce. Au vu de son état, on suppose avec effroi que, dans cette chambre, on ne s’est pas arrêté au simple fait de fumer.

Prud’hon ne disparait pas pour autant ; en cherchant, on comprend que c’est une tout autre image de lui qui est présente ici, celle de son Jeune Zéphire. Diablotin joufflu, qui tend un regard offert aux pieds du tableau. Le petit homme, pas plus grand que la jeune femme de d’Agata, est sur le point de glisser dans une eau saumâtre où zigzaguent des lambeaux de feuilles mortes. Il n’a pas encore plongé ses premiers orteils, le moment est joyeux, l’abandon proche, l’excitation palpable. En Géorgie, c’est l’instant d’après que l’on a sous les yeux. Les muscles sont détendus et s’affaissent tout en conservant la même position. C’est comme si le saut du Zéphire l’avait figé à l’intérieur, ne lui permettant plus de jouir de ses articulations, tout en accentuant la plasticité des chairs qui les entourent.

Entre les deux figures, il y a eu une chute, une béance qui n’existe que dans l’esprit qui fait le lien.