Les paysages de Rousseau ont pour ceux qui les observent quelque chose d’improbable. La vaste carte qu’ils dessinent de la région parisienne, contrée paysanne et laborieuse, plantée d’arbres monumentaux et d’autres précocement usés par la régularité de l’émondage, terrienne, mais recouverte de présences aussi fantomatiques que peut l’être l’apparition de la gelée au revers d’un matelas de brouillard début octobre, ce pays aujourd’hui, nous est impossible à retrouver.

Pourtant, les noms de villes sont toujours dûment indiqués, rien de plus simple que de s’y rendre. Mais alors, où voit-on les Chênes et Châtaigniers aux environs de Moigny-en-Gatinais ? Où touche-t-on du doigt cette masse d’arbres brune et spongieuse comme une touffe de mousse en été, ce petit bois que l’artiste peint comme si son existence parmi les champs, les barrières, au bout du chemin qui y mène, tous brossés d’un camaïeu de verts maussades, tenait à une majestueuse et respectable superstition.

Ce groupe végétal qui occupe le centre du tableau est composé d’un réseau osseux, dense et sclérosé, dans lequel la circulation n’obéit pas à un ordre ramifié, mais alvéolaire. Il est parcouru de « brossures » rigides, orientées dans toutes les directions, et régulièrement espacées de percées sur un lavis clair et fluide, au travers duquel on entrevoit glisser une harmonie inconnue. Le regard s’y presse ; pas gêné le moins du monde de pénétrer en lui, trop avide d’en faire le tour, de même qu’au loin d’une allée privée, on s’attarde à regarder entre les branches métalliques de la grille d’un manoir que l’on désire depuis l’enfance.

Au-dessus de lui, le vent apporte une variété de nuages vagabonds ; une petite troupe de fanfreluches nerveuses et hachurées, qui se dispersent en grand désordre, laissant apparaître, par petits morceaux, la peau pâle du ciel timide et limpide que recouvrait l’instant d’avant cette accumulation d’étoffes blanches. Ce ciel qui ne promet rien, passe comme le quotidien balaye les graminées. Mais désormais, le blé a été remplacé par de pelouses, les jachères par des jardinets de pavillon.