À voir le travail de Guillaume Lebelle, on a le sentiment presque physique d’un flirt ; chaque centimètre de peau, chaque pli, chaque grain, cicatrice, aspérité et commissure est abordé par une alternance de retenue et de voracité impudique. L’artiste semble s’engager sur la toile du bout des doigts ; ne faisant que les effleurer, les caresser, tracer de ses ongles des chemins de rigole où le fluide de la peinture se déverse, ravine et serpente pour devenir tâches et traits de couleur. Il empoigne petits et grands formats avec précision, entretenant avec eux une relation parfois tumultueuse, qui pourrait passer pour de la manie, mais qui est toujours entière et fine.

Quelquefois on se l’imagine papillonner, virevoltant, entrelaçant éraflures et lavis, comme si, dans sa gestuelle il soulevait un nuage, que celui-ci venait se poser sur la toile pour y construire un nid de vides et de pleins. Nid d’hirondelle, nid de coucou, nid abandonné ; en architecte du sensible, Guillaume Lebelle multiplie les résidences. Ainsi, Derrière Lisa et Chauleur, deux œuvres aux noms subtilement entrebâillés sur leur genèse heureuse, sont pareilles à des persiennes, elles filtrent le regard tout en laissant passer la lumière, une lumière blanche et chaude, matinale, douce et porteuse du parfum des premiers réveils. Ailleurs, certaines toiles sont plus sèches, plus vives aussi. Les signes qu’il trace se superposent en éboulis. Cru au carré et Blanqui témoignent de cette manière plus raide. On s’y trouve comme sur un bateau, tout y est à sa place, et pour autant que le regard continu à naviguer on découvre de nouvelles cachettes : tiroirs à couteaux, remise à minéraux, collection de gastéropodes et autres merveilles miraculeusement situées. L’ascèse est alors totale, la lumière crue traverse ces calades comme si l’éternité devait passer dessus.

Qu’il s’agisse de peinture ou de collage, de sculpture ou de dessin, tout est toujours construit, charpenté sans gras ni surplus d’articulation. Ne s’y trouve que l’essentiel. Essentiel qui le signale tantôt vers Eugène Leroy, tantôt vers Picasso.

Ces relations filiales resurgissent de manière complexe et spontanée dans une pratique de la digression qui le pousse à préciser chacune de ses interventions : toujours contextualiser, toujours explorer, toujours frôler le danger, être au plus près de l’imposture, pour que chaque œuvre fasse ressentir à ceux qui la voient que s’il continuait, il tuerait. Ce qu’il fait.