L’Ange du bizarre est une exposition qui se déploie comme une araignée tisse sa toile. Tout d’abord la structure, Füssli, Delacroix, Goya, Redon… tracent les rayons, puis, entre eux, un rang serré de plus ou moins obscurs obscurantistes remplit l’espace. Un espace forcément noir, mais non nécessairement désespéré ; il y a une certaine joie dans la névrose et dans le jet crasseux des cauchemars, une catharsis, un contentement, somme toute très contemporain dans le dévoilement du pessimisme au travers de l’individualisme.

Cette solitude est celle d’Éternelle Douleur de Paul Dardé. C’est la sculpture d’un visage renversé, que parcourt une nichée de serpents, gros et petits évoluant au milieu de la chevelure. La tête est enfoncée dans les profondeurs du cauchemar qui est le sien. La bouche est entrouverte, détendue à ses commissures ; abandonnée de toute volonté, elle laisse filer un souffle froid et humide. Seuls les yeux, bien que fermés, permettent de supposer une activité. Ils sont tous deux surmontés d’une boursouflure de chair plissée comme si, à ces endroits et seulement ceux-ci, un vaisseau sanguin passait encore pour alimenter la vision. Vision que l’on croit volontiers horrifiante.

Au milieu de cette débauche de rouge et de noir, les paysages de Friedrich, minutieux et attentifs, attirent à eux par leur magnétisme sûr et lumineux. Entre autres, la Forêt de sapin avec Cascade est un petit tableau calme et propre, où se déverse sans éclaboussure un maigre torrent au pied d’une forêt toute proche. L’observateur est attiré dans une modeste clairière dont toutes les perspectives sont occultées par le branchage fourni des conifères. Il n’y a là rien de déplaisant, on s’y installe volontiers, or sans raison, sans précipitation, ni détermination, sans signe avant-coureur, on se rend compte que ce havre verdoyant annonce la nuit.

Intérieur, mère et sœur de l’artiste d’Edouard Vuillard symbolise la version domestique de cette fatalité. Dans une petite pièce, deux femmes barrent la route à toutes permissions, comme pour annoncer la chute d’un conte moralisant. La mère est assise, de noir vêtue, campée sur ses coudes, elle attend qu’approche le peintre. La sœur est debout, adossée au mur, et laisse filer un œil inquiet vers le coin inférieur gauche de la peinture. Elle est à deux doigts de tomber en arrière, déjà sa robe commence à faire corps avec la tapisserie, comme si elle allait s’emmurer de honte pour avoir parlé. La mère, impassible, pense à la punition à venir.

Au terme de l’exposition, Forêt d’arrêtes de Max Ernst achève tout espoir. Dans cette œuvre, l’artiste dresse sa peinture comme l’on dresse une palissade. Une forêt d’arbres couchés, de palmiers décapités, obstrue l’espace de leurs ossatures coupantes. Ils ne laissent apparaître qu’une frange de ciel jaune, un ciel lourd et gras qu’occupe un soleil mécanique, noir et rouge, parfaitement malfaisant.